Chronique du 29 mars 1999

Le vendredi 26 mars 1999, chacun aura pu trouver dans les boulangeries, lieux de vente de la presse locale, inclus dans le numéro 111 de l’hebdomadaire, Le Vent de la Liberté, ou en feuillets séparés, le programme de mise en condition physique pour la 16è édition des « 25 km de Miquelon. »

Cet événement sportif annuel, pour un parcours animé Langlade-Miquelon, initié il y a seize ans, par Gérard Grignon, député de Saint-Pierre et Miquelon, attire une foule de coureurs, que l’on peut voir peu à peu se défouler, à l’orée du printemps, sur l’asphalte saint-pierrais.

Huit pages sont donc consacrées à de judicieux conseils pratiques pour éviter, entre autres risques, le claquage musculaire. L’organisateur est à juste titre, à cheval sur les grands principes. Comme il le dit lui-même : « Qui veut aller loin ménage sa monture ! »

En avant-propos, Gérard Grignon étaie sa pensée : « Courir pour se déstresser. »
Citons, dans l’ordre et sans rien omettre, en marquant les pauses requises et commentons.

« Le propos de ces quelques phrases d’introduction à la diffusion de ces modestes programmes de préparation aux 25 km de Miquelon n’est évidemment pas de tenter une quelconque analyse philosophique d’une sorte de « mal-être » actuel de l’individu, ni d’essayer d’en identifier les causes, ni d’ailleurs de préconiser les remèdes pour en sortir. Cela serait incontestablement prétentieux, et encore faudrait-il en être capable. »

Bon. Nous voilà rassurés, il s’agit de conseils pour mieux courir ; pas de divagations déplacées, la modestie du propos nous touche. Poursuivons.

« Mais nous sommes bien obligés de constater que ce « mal-être » de l’individu est réel. Regardons autour de nous. »

Ah ? Je croyais que… Mais poursuivons.

« De plus en plus de gens sont déprimés, angoissés. De plus en plus de gens ne se sentent pas à l’aise, ni dans leur corps, ni dans leur tête, et en conséquence ne sont pas bien dans leur milieu familial, dans leur contexte professionnel et social, dans leur environnement. »

Voilà qui ressemble fort à un début d’analyse. Poursuivons toutefois.

« Et d’ailleurs, à un moment ou à un autre de son existence, tout être humain, inévitablement, sans parler de déprime ou d’angoisse extrême, doute de lui, se trouve confronté à une situation de « déséquilibre. » »

Et merde alors. Moi qui m’apprêtais à chausser mes pompes pour m’entraîner, tout guilleret, sur la route piétonne, en bas du cimetière, j’angoisse soudain à ces propos funèbres.

« Je le répète, notre propos n’est pas d’analyser tout cela. »

Ouf ! Je respire.

« Nous pensons cependant, que face à ce « mal-être », la pratique du sport peut être d’un grand secours. »

Cette remarque en caractères gras me coupe le souffle. Il y aurait un sens philosophique caché sous la semelle de mes chaussures de sports toutes neuves ? Je philosophais donc sans le savoir ? Face à ce « Nous » singulier, quel rôle ma modeste carcasse peut-elle jouer pour le bien-être pluriel ?

« Spontanément, de plus en plus de jeunes, de plus en plus de personnes, toutes catégories confondues, pratiquent un sport. »

C’est bien ce que je disais, il y a là un destin collectif, une orientation fondamentale donnée aux semelles qui crapahutent.

« Regardons 25 ans en arrière, et regardons aujourd’hui. »

C’est fou ce qu’il faut regarder dans ce texte. Il est vrai qu’avec le parc automobile de l’Archipel, 3600 véhicules dits de tourisme et petits utilitaires, auxquels s’ajoutent deux cents motocyclettes, en fermant les yeux sur les trous de poule qui agrémentent l’ensemble du réseau routier, il vaut mieux regarder où l’on met les pieds. Mais reprenons.

« « Regardons 25 ans en arrière, et regardons aujourd’hui. Le Centre Culturel venait à peine d’ouvrir ses portes, la nouvelle patinoire n’existait pas, la Maison des Loisirs non plus. Dressez la liste des sports régulièrement pratiqués aujourd’hui et qui ne l’étaient pas à cette époque ou qui n’existaient pas. Vous serez surpris. La société change sans que nous nous en apercevons (apercevions, ndlr). En bien comme en mal d’ailleurs. Et dans tout ce mouvement, nous constatons aussi que de plus en plus d’hommes et de femmes laissent derrière eux complexes, tabous, et osent.

On ose et c’est heureux ! On ose courir, on ose faire de la gym ou de la musculation, que l’on soit relativement âgé, trop gros ou trop maigre, que l’on soit homme ou femme, jeune fille ou mère de famille… grand-mère ! » (en gras, dans le texte, ndlr)

Bon, récapitulons.
1. Hier, on ne courait pas, on ne faisait pas de gymnastique, pas de musculation.
2. Hier, il n’y avait pas de Centre Culturel et Sportif, pas de Maison des Loisirs, on pratiquait beaucoup moins de sports.
3. Aujourd’hui, on a de nombreux équipements, une grande diversité de pratiques sportives.
4. Mais, aujourd’hui, on constate un « mal-être actuel » généralisé, « de plus en plus » de gens à côté de leurs pompes, pour ainsi dire.
5. Donc, hier, on était plus heureux.
6. Mais on courait moins.

Donc, moins on avait d’équipements, moins de possibilités de pratiques sportives en tout genre, moins de kilomètres sous les semelles, plus on était heureux. Le sport généralisé entretient inexorablement le « mal-être ».

Je saisis mieux le premier conseil pratique intitulé « Comment respirer ? »
Réponse : « Expirer est essentiel. » Tout dépend du sens.

Pourquoi ces paroles de Georges Brassens me bottent-elles soudain ?
« Mânes de mes aïeux, protégez-moi, bons mânes ».

J’en déduis qu’il vaut mieux se cramponner à notre maigre chance de survie et prendre les jambes à son cou.

A moins que faire du sur place ne soit en fait la véritable réponse à tous nos maux.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
29 mars 1999

(A noter que l’avant-propos comporte quelques paragraphes complémentaires, mais qui n’ajoutent rien de particulier à ce qui précède).