Chronique du 6 avril 1999

Vendredi 26 mars 1999 : 3 jeunes participent à un magazine télévisé, sur les ondes de RFO, sur le thème de la jeunesse. Dans l’Echo des Caps, Fred Beaumont, adjoint au Maire, donne immédiatement ses impressions sur le contenu et le déroulement ; Gérard Grignon, député et directeur de la publication Le Vent de la Liberté, fait illico de même dans le numéro 112 du 3 avril. Tous deux s’accordent pour en reconnaître l’intérêt cathodique. Il s’agit, n’en doutons pas, d’analyses détachées de toute considération politique, que d’aucuns, malveillants, pourraient qualifier de clientélistes.

Les jeunes sont forcément sympas, comme seront certainement dignes et respectables les vieux que l’on interrogera peut-être demain. Pour Gérard Grignon, ils sont les représentants de la « détermination », de la « joie de vivre », de « l’optimisme ». Et le député de déplorer tous les pisse-vinaigre qui se lamentent dès que l’on aborde les thèmes relatifs à notre descendance : « on ne parle que des maux qui peuvent la frapper. On parle (que, ndlr) de la jeunesse qui se drogue, de la jeunesse désemparée… On parle de la jeunesse violente ou la jeunesse désespérée… »

Ah ! comme il le dit lui-même « tout ce pessimisme ambiant à propos de tout ! » Assez de tous ces lamentos, de tous ces rabat-joie, de tous ces romantiques attardés. Nous sommes heureux, que diable ! Il suffit de courir à la recherche du bonheur et déjà on se sent mieux. Comme le dit le député lui-même, dans un autre éditorial, celui consacré à la préparation des 25km de Miquelon, il faut « courir pour se « déstresser ». Pour un peu, je retrouverais mes jambes de vingt ans.

J’angoisse soudain, je pessimise, je désespère : ne serions-nous pas aussi heureux que nous l’imaginions, victimes comme le souligne le député dans cet autre analyse philosophale « d’une sorte de « mal-être de l’individu », un mal-être qu’il qualifie de « réel » ? Je relis ce constat d’un pessimisme ambiant absolu, à faire chialer les cœurs les plus secs : « De plus en plus de gens sont déprimés, angoissés. De plus en plus de gens ne se sentent pas à l’aise, ni dans leur corps, ni dans leur tête, et en conséquence ne sont pas bien dans leur contexte familial, dans leur contexte professionnel et social, dans leur environnement. »

Mais qui peut donc bien constater cette désespérance ? Gérard Grignon ne serait-il pas ce « On » indéfini qui « parle » et que critique le « je » qui « pense que cette jeunesse qui se bat et qui gagne est majoritaire » ? Je suis subjugué par cette tempête sous un crâne, à la Victor Hugo. Avide de synergie, je vais boire une « bleue » (une Blue pour les polyglottes, autrement dit, une bière) avant d’entamer la suite.

Je suis de retour, désaltéré.

Fred Beaumont, l’adjoint au Maire, reconnaît quant à lui le mérite des jeunes qui « se passent de la langue de bois ». Donc, si je comprends bien l’argumentaire, les politiques dont il fait partie, et qui sont plus âgés, et qui de surcroît s’expriment, utilisent des constructions dont les jeunes se débarrassent avec bonheur dès qu’ils sont interrogés. Il est vrai que la politique doit tellement au BTP qu’il est normal qu’elle lui emprunte quelque chose, ne serait-ce qu’une langue. Mais quel est ce reproche sous-jacent quand l’auteur de l’article parle de « vérités pas toujours bonnes à dire » ? Faudrait-il refouler ce que l’on a sur le cœur, surtout si l’on détient quelques vérités pas toujours bonnes à entendre ? Comment pourrait-on les connaître alors ? À moins de les faire circuler comme des Samizdats… J’ai peur que l’on cherche déjà à bétonner.

Dans l’immédiat, faute de fontaine de jouvence, je me replie, zéro positif abreuvé, sur mes désillusions quarantenaires, en attendant que nos politiques viennent à s’y pencher.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
6 avril 1999