Chronique du 8 mai 1999

Un article paru dans le Vent de la Liberté n°116, du 1er mai 1999, me semble être passé inaperçu. Du moins, n’ai-je entendu aucun commentaire. Faut dire qu’attentif aux confidences de mon chien Labrador, je suis pour le reste d’un naturel plutôt distrait. L’article donc, étant menacé de tomber dans les oubliettes de notre château de cartes local, il me paraît nécessaire d’y consacrer une méditation, certes modeste, dans mes mortelles chroniques (au sens d’éphémères, bien entendu).

Article d’importance en effet, puisque consacré au Tabou. Loin de moi l’idée d’en rire car il s’agit peut-être là d’un écrit susceptible de bousculer nos attitudes mentales insulaires trop figées. Quelques mots mis bout à bout m’amènent donc ici à quelques réflexions, qui, ô lecteur qui m’effeuilles fidèlement comme on regarde un film classé X, ne perturberont en rien ta sérénité refoulée. Du moins l’espèré-je.

« Notre vie quotidienne, dit l’auteur de l’article, est balisée par d’innombrables interdictions occultes. L’assentiment commun en ce qui les concerne est tel, qu’à part quelques exceptions, tous les membres d’une communauté les respectent. »

Mazette ! (« interjection. Exclamation d’étonnement, d’admiration », Le Petit Robert)
Fichtre ! (« interjection. Exprime l’étonnement, l’admiration, la contrariété », id)
Bourps ! (interjection personnelle parce que je ravale ma salive).

Et que risquent alors ces « quelques exceptions », irrespectueuses des interdictions non identifiées du fait qu’à part l’inceste et la mort, l’auteur ne nous livre pas d’autres exemples ? Sans doute gros car, précise l’auteur, « leur transgression nous semble monstrueuse »…

Il doit donc bien y avoir des tabous qu’on ignore, qu’on transgresse sans savoir, allègrement, monstrueusement. « Car les tabous, lis-je plus loin, sont à la fois le lieu de tous les interdits et de tous nos désirs. »

C’est entendu, je dirai à mon chien de ne plus faire pipi-crottes sur les pelouses. Mais, ô mon frère catholique branché parmi les chrétiens, pourquoi le bon Dieu a-t-il peint les pelouses en vert ?

Pour mon chien, c’est dit, c’est réglé, mais pour moi, pauvre bipède, insulaire de surcroît, comment me délester, m’exprimer, dirai-je ?

Bon, c’est juré, je vais tout garder. Car « les pulsions inacceptables socialement sont renvoyées vers les profondeurs de la conscience ». C’est donc pour cela, si je comprends bien, que l’on fait dans ses culottes, quand on a peur. A fortiori, quand on ne sait pas de quoi.

Mais, ouf ! et heureusement, ces pulsions « ne peuvent ressortir que désamorcées dans les rêves ou maquillées dans l’art »

Et dire, au passage, que ce malheureux préfet de Corse aurait pu se contenter de rêver, paillotté, sans essayer de maquiller la réalité de ses pulsions ! Tout aurait pu être désamorcé, à temps, monsieur le ministre. (Je dis « monsieur le ministre » pour donner plus de poids à mes chroniques). Et personne n’aurait vendu la mèche.

Mais j’en reviens à ma réalité archipellienne, taraudé par tous ces tabous qui nous menacent de coups de pied occultes. Il urge de lister les interdits possibles, de façon à mieux saisir comment, peut-être, je peux pondre des chansons aux pulsions désamorcées.

Je te livre donc, ô compagnon de balivernes, les questions suivantes, glanées dans mes divagations quotidiennes, en me disant : entrent-elles dans «le conflit permanent entre les instincts et les conventions sociales », qui alimente le « Tabou »?

  Peut-on rire de tout à Saint-Pierre et Miquelon ?

  Peut-on jeter un regard amusé – quand l’occasion se présente, pour ne pas sombrer dans la morosité -, sur le comportement de nos démocrates sans être suspecté de lèse-majesté ?

  Peut-on écrire dans L’Echo des Caps sans être soupçonné du délit de suppôt d’édile ?

  Peut-on lire Le Vent de la Liberté sans être considéré comme prisonnier d’Archipel Demain ?

  Peut-on acheter Trait-d’Union, le journal du RPR local, sans être montré du doigt comme un cas unique ?

  Peut-on ne rien lire, surtout à partir d’un certain âge, à cause des verres progressifs qui nous rappellent que l’on a peut-être trop joué avec ses yeux ?

  Peut-on regarder par-delà l’horizon ?

  La grève de la faim de l’ex-préfet-gouverneur Bonnet, récemment incarcéré à la prison de la Santé peut-elle nous couper l’appétit ?

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
8 mai 1999