Chronique du 20 juin 1999 (2)

Il est des fêtes commémoratives qui désarment par leur monotonie répétitive. Salut les morts, hisse le drapeau ; salut les morts, dépose ta gerbe ; debout les morts et lève ton verre. Il en est d’autres qui dérogent. Ainsi en aura-t-il été en ce jour du 18 juin 1999.
C’est que pour célébrer le fameux appel du grand dissident, on ne se contente pas du petit parcours, place du Général et générale au Monument. Non, on se déplace en grandes pompes et pompes funèbres à l’Ile-aux-Marins, la gueuse, celle qui en est réduite à mendier pour qu’on vienne la visiter.
Car, pour ta gouverne, ô lecteur circonspect, il faut savoir qu’aucun bateau digne de ce nom ne dessert encore cette petite île où comme tu le sais sans doute, si tu lis l’Echo des Caps, il n’y a jamais eu de clandé, contrairement à ce que laisse entendre une fiction télévisuelle française sur les grands bancs diffusée l’hiver dernier à grand renfort de publicité et de déception locale.

Mais je m’éloigne.

Dans l’attente d’une solution balisée banalisée, il faut faire appel à des moyens de fortune. D’où le recours au valeureux Paul Veillant, le bateau des Phares et Balises. Le hic, c’est qu’un tel bateau ne peut porter que douze passagers. D’où une dérogation accordée hic et nunc par le Directeur de l’Equipement, patron dudit bateau, pour porter à vingt-huit le nombre de clampins avides de commémoration. Car il faut bien, comme dirait Jospin, s’assurer du « strict respect de la loi ».

Mais, m’interrogé-je soudain, est-ce à un Directeur de l’Equipement ou au patron des Affaires Maritimes que revient l’autorité d’accorder une telle dérogation ? Ça se corse, on dirait.

Voilà le moment venu de compter les pèlerins. Soyons prudent, exigeant, sans faille :

  Vingt-six, vingt-sept, vingt-huit. Halte-là, on ne passe plus ! Plus question de monter à bord !
Et qui reste sur le quai, malheureux vingt-neuvième, à la traîne, privé de remorqueur de bouées ?

Eh oui, vous l’avez deviné : le directeur de l’Equipement.
Un goéland me rapporta que personne ne songea à lui donner une bouée-culotte.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
20 juin 1999