Chronique du 30 juin 1999

Est-ce que la musique locale existe ?
Vaste sujet pour mélomane attiré par les vers insulaires ou pour mégalomane atteint de nombrilisme aigu.
Musique localisée certes, dans un grenier ou une cave, voire dans une cuisine, suivant les cas.
Absente de la presse écrite, le plus souvent. Il est vrai qu’en lisant les articles du journaliste métropolitain Paul Piro dans L’Echo des Caps, on pourrait penser que Pedro Almodovar a tourné son film sur le sexe, mensonges et travelos à Saint-Pierre, et que Kavanagh, « l’irrésistible Bounty » a fait un tabac sur l’Ile-aux-marins. Il y aurait gourance. Ces articles sont faits pour les insulaires sédentaires que nous sommes, privés des spectacles parisiens. Il faut bien qu’on nous éclaire le bulbe.
Mais qui cherche une quelconque référence aux activités musicales saint-pierro-miquelonnaises de ces dernières semaines dans ce même hebdomadaire, est condamné à jouer de la phalange pour que dalle sur les pages bichromes. Certes concédons que dans le numéro 764, la 4è de couverture consacre quelques photos à la Fête de la Musique. Mais d’analyse, d’écrit sur l’événement lui-même, rien.
Quid de la vie nocturne où les musicos locaux, à ne pas confondre avec locos, (pour hispanisants avertis), se joignent à des trouvères de passage, invités par les patrons de bar, voire par le député, – mais ne chipotons pas quand le choix a été judicieux -, avec à la clef (de sol, bien sûr) des soirées animées, propices à l’épanchement des âmes et de la bière, et sources de jubilation intense ? Soirées blues, soirées jazz, soirées québécoises, soirées vendéennes, et toujours une rencontre impromptue mais super avec les artistes du terroir, sache, ô lecteur, qu’on s’amuse sur nos îles, qu’on se retrouve, qu’on échange et que la musique n’a pas de frontières. Les Milosevic du globe n’ont qu’à bien se tenir, les musiciens sont plus forts que la soldatesque de l’OTAN ou de Eltsine le vodkaïque. Mais cela tu n’as pas pu le savoir, cher lecteur virtuel, parce qu’il n’y en a pas eu le moindre écho.
Et sais-tu qu’un groupe de jazz local, Jazz à Gogo – eh oui, le jazz fait partie du paysage, comme les goélands -, a participé au festival Franco-Fête à Saint-Jean de Terre-Neuve (St.John’s Newfoundland, pour les anglicistes) et que ça a rudement bien marché. Une organisation sans faille, un accueil chaleureux et une réponse très chaude du public enthousiaste. Voilà de quoi faire parler de nos îles et inviter au voyage. Et que sur nos rochers l’on soit inspiré par Dylan, Maxime Le Forestier, Robert Johnson, John Coltrane ou Gilles Servat, ne change rien à l’affaire. Il y a, à Saint-Pierre et Miquelon, un sacré melting-pot, mon pote, et ça, c’est unique, voire local.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
30 juin 1999