D’abord il y a les Belges
Qui savait que la Belgique existait avant l’affaire de la dioxine, bougre d’animal promis à la farine ?
Admettons qu’on connaissait Bruxelles. Du moins de nom. En gros, on pouvait dire que Bruxelles était en Europe.
Mais si aujourd’hui les flamands sont toujours roses, les Belges eux sont verts de peur. Un cancer sous chaque aile de poulet.
Et puis il y a la France.
C’est comme pour Tchernobyl, et son nuage toxique, à l’époque de la contamination russe. Tout s’arrêtait à la frontière. Du moins c’est ce qu’on a prétendu… au début.
Donc, pas de contamination par la dioxine possible. Nous sommes les meilleurs. Chez nous la farine est garantie. Les poulets aussi.
Et voilà qu’un canard vient donner un coup de bec à cette sereine certitude. On fabrique de la farine animale en l’agrémentant de divers produits aromatiques, tels que les eaux de rinçage ou les résidus de fosses septiques. Histoire de donner du goût.
Et puis il y a Saint-Pierre, îles sans pollution, comme nous le promettent les prospectus.
Sauf que par jour de beau temps – on s’en aperçoit moins par temps de brume – on se demande d’où vient ce nuage noir qui vient soudain nous obscurcir la prunelle.
C’est rien, c’est l’incinérateur.
Tout y passe, dont les déchets ménagers.
Et chaque jour, la noria des camions-poubelles vient alimenter la flamme.
Mais qu’est-ce que produit un incinérateur de déchets ménagers ?
Devine, cher lecteur.
(pause de l’auteur pour aller prendre un café-filtre)
Eh oui, tu as raison : de la dioxine. Et ça se mesure en picogrammes. Et l’on peut en absorber entre 1 et 4 picogrammes par kilogramme de poids corporel. Enfin, si j’en crois l’OMS, l’organisation mondiale de la santé.
Et qu’est-ce qu’on peut attraper au bout de la chaîne, cher lecteur ?
Eh oui, tu devines encore, le droit de vérifier ton numéro de sécu. Au cas où.
Dans l’immédiat, sachant que j’ignore complètement combien de picogrammes éventuels je peux subrepticement avaler, j’ai décidé de bouffer un max, de façon à prendre du poids, pour me garder une marge. Mais comme il faut se méfier du poulet belge, je vais me tourner vers le poulet français, à moins que je trouve du poulet au grain nourri à Saint-Pierre, ou du poulet terre-neuvien. A condition qu’il n’y ait pas un incinérateur trop près, vu que plus les poussières sont fines, plus elles sont dangereuses.
Mais il paraît que les poussières s’arrêtent aux frontières.
Henri Lafitte, Chroniques insulaires
9 juin 1999