Chronique du 21 novembre 1999

Il est dit que Saint-Pierre périra par le feu et Miquelon par l’eau, chaque commune affirmant sa différence jusque dans l’anéantissement. Mais Saint-Pierre ne risque-t-elle pas (Saint-Pierre, c’est comme les anges, il faut en chercher le sexe) de perdre sa spécificité, comme le souligne le Maire de Saint-Pierre dans l’éditorial de l’Echo des Caps du 19 novembre 1999 ?

« Depuis des années je proteste, en pure perte d’ailleurs, contre la destruction du Pont Boulot. Sa disparition a fait d’un secteur, certes « humide » une zone inondable. » À noter que l’hallali remonte à la fin des années soixante (je te laisse, ô lecteur, le soin d’en retrouver la date). Et le maire de poursuivre : « Je crains fort que la situation s’aggrave dans le futur. L’urbanisation des quartiers Sud de l’Etang, qui s’étendent désormais jusqu’au nouvel aéroport, va accroître le flux des eaux de pluie que le terrain naturel absorbait auparavant. »

C’est donc la faute aux maisons si demain on a les pieds dans l’eau, voilà ce qui paradoxalement nous amène à brouter de l’herbe. Mais si l’on a construit dans cette zone, n’est-ce pas à cause du nouvel aéroport qui a attiré vers lui des zones propices à l’habitat, dans tout le secteur de la Pointe-Blanche ? De plus, et dans la foulée, ne va-t-on pas construire là où se trouve l’ancienne piste désormais libérée, zone qui se caractérise par le fait d’être pratiquement au niveau de la mer et que n’évoque pas l’éditorialiste ?

Le problème s’étend (jeu de mots facile à écluser) et ne se limite donc pas à l’Etang Boulot incapable, il est vrai, d’absorber la mer qui monte en période de grande marée et l’eau qui descend de « l’Etang du Pain de Sucre » (et l’addition sera salée, logique non ?) en période de fortes pluies, les deux événements pouvant être concomitants.

Mais l’Etang Boulot, étranglé du goulot, faute de pont, est le point de mire du Maire : « J’insiste sur ce point parce que j’ai le sentiment que personne n’a une vue d’ensemble du problème », ajoute-t-il. « Comment solutionner le problème ? En accroissant la capacité de l’Etang par un dragage systématique ? En installant des pompes de refoulement à la mer qui seraient mises en service au moment des fortes crues ? » Mais que se passerait-il alors si l’océan déborde, y compris dans la zone inondable de l’ancien aéroport ?

Surtout que, pour élargir la vue d’ensemble, tu n’ignores pas, ô lecteur assoiffé, que la banquise de l’Arctique a perdu en 20 ou 30 ans 40% de son épaisseur totale et que les glaces continuent de fondre, parce que l’Homme, cet apprenti cuisinier, fait trop bouillir la marmite (au passage, fais gaffe désormais quand tu crieras « A bas la calotte ! », Dieu pourrait t’entendre).

Voilà qui peut faire des vagues et mettre le feu aux poudres (façon de parler) le jour où nous aurons tous les pieds dans l’eau, à Miquelon comme à Saint-Pierre, citoyens abreuvés de la Nouvelle Atlantide, dans l’ultime rencontre entre le feu et l’eau.

En attendant, l’eau gagnant du terrain, les projets menacent d’y tomber de plus en plus souvent. Il est temps, en effet, de se mettre au boulot.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
21 novembre 1999