Chronique du 14 décembre 1999

Chacun aura pu juger ces temps derniers de l’efficacité d’une visio-conférence, sous l’œil cyclopéen de Big Brother. Dans la foulée d’un conflit opposant les travailleurs de la mer de Saint-Pierre et de Miquelon intervenait la conciliation par rétines numériques interposées. Mais derrière les apparences d’un accord sur l’exploitation du poisson couvaient les réticences et les oppositions. Au lendemain d’une entente proclamée par le Préfet, la guéguerre reprenait.

« Visiodialog ou comment borner l’emploi… » écrit Ghislain Detcheverry dans l’Horizon, le mensuel de Miquelon, dans le numéro de décembre 1999. « Le service local des Assedics offre à ses allocataires de Miquelon un moyen de communication moderne pour les mettre en contact direct avec ses bureaux de Saint-Pierre. » Et l’auteur de déplorer que cet équipement « permet surtout de faire l’économie d’un poste à temps partiel sur Miquelon. »

Le « progrès » certes est décisif et ne demande qu’à faire le plein comme toute évolution réductrice d’emplois. Ne pourrait-on pas imaginer, compte tenu de la crise des vocations, un œilleton affublé d’un écran, le tout dans une cage insonorisée, permettant à tout Miquelonnais fautif d’aller à confesse, l’absolutionniste bien à l’abri dans son presbytère à Saint-Pierre ? Que de perspectives également dans l’enseignement, sans parler de tous les services administratifs, à commencer par celui de la préfecture !

Mais, quand les bornes sont franchies, y a-t-il des limites ? L’on imagine aisément qu’il doit bien exister quelques technocrates tapis pour concocter la même évolution pour Saint-Pierre, les prestataires aseptisés étant repliés sur le seul lieu dont la francité est indiscutable, Paris.

On aurait d’ailleurs pu expérimenter ce nouveau procédé avec le médiateur pour les questions de pêche, ce qui lui aurait évité un long et pénible voyage. Il est vrai que la sagesse peut naître de l’expérience et le progrès fort heureusement a aussi ses failles.

Mais viendra inéluctablement le temps où l’on perdra jusqu’au sens du parfum de son vis-à-vis, élément si déterminant pourtant d’une saine rencontre. Et comment apitoyer une préposée à ses affres intimes si l’on ne peut jouer de tout ce qui émane d’une rencontre plus charnelle, dont la poignée de main conserve toute sa valeur métonymique ? Quels pourront être les effets des gifles virtuelles ?

Faut-il donc faire écran à ce progrès, démarche qui comporte déjà ses gènes d’impuissance ? Dans l’attente d’une réponse, seuls les claviers se salissent au bout des doigts, les artisans du progrès se lavant les mains.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
14 décembre 1999