Chronique du 28 Février 2000 (2)

La langue de veau, on connaissait, grâce à Jacques Chirac ; la langue de bois, on connaissait aussi, grâce à aux politiques, quel que soit le sexe. Mais que ces spécialistes toutes catégories de la chose publique s’autorisent une entorse au sacro-saint rituel d’une langue irradiée et c’est la cata, la catastrophe, le cataclysme.

Lionel Jospin l’a appris à ses dépens en choisissant au Moyen-Orient une liberté langagière tout à fait inusitée. En soutenant ainsi Israël, il menait, et c’est un comble, la France sur le chemin de Damas, ce qui a affolé tout le monde. Car sortir des sentiers battus n’est pas la règle chez les disciples de l’ENA, même si les éminents calculateurs qu’elle produit veulent faire illusion le temps d’une émission de politique-spectacle à la Michel Drucker. Derrière les moues enjouées de Valéry Giscard d’Estaing, lors de sa prestation récente sur le plateau du célèbre animateur-vedette, il y avait, n’en doutons pas, une parfaite maîtrise du relâchement apparent. Car il est difficile, ô lecteur sagace, de relâcher les yeux, les lèvres et les fesses en même temps, surtout en politique.

Pouvait-on croire soudain à une nouvelle forme d’expression politique, même au prix de quelque intifida à l’emporte-pièce ? Car faut-il jeter la pierre à qui veut parler vrai ? Lionel Jospin n’a pas voulu jouer la chattemite, on ne le lui pardonne pas.

Le Premier Ministre français a-t-il ouvert à son insu la boîte de Pandore d’un langage asservi, prisonnier de ses règles et de ses convenances, qui veut que si l’on est pour, l’on n’est pas pour autant contre au point que tout être doté d’une cervelle à concentration ordinaire de neurones puisse s’interroger sur la notion même d’une langue vecteur de communication ? Tu piges ?

Jack Lang, le candidat à la Mairie de Paris, celui dont on se demande si la Culture n’a pas été faite pour lui, ou vice-versa, a-t-il emboîté le pas de son auguste chef en secouant les puces à Ruth Elkrief, cette talentueuse journaliste de TF1 aux yeux qui vous font regretter de ne pas avoir choisi de faire de la politique, vous frustrant ainsi d’une éventuelle invitation capiteuse ? Car Jack Lang, le dandy, s’est comporté soudain en rastaquouère, il en a eu ras l’bol d’être sans cesse assimilé à un fantoche de salon, à un breveté du serrage de paluches, à un grand maître du cirage de pompes, à un marquis de l’apparence. Vous me croyez superficiel, croyez-le, a-t-il assené soudain à la belle journaliste, ” vous qui vous contentez de la superficialité “. Et toc ! Voilà la gente Ruth déroutée, le souffle coupé. Pour un peu, elle en aurait paumé ses lentilles (n’allez pas me dire que son regard est naturel, car il faudrait la faire décorer par… Jack Lang). Mais Jack, le beau, le tendre Jack, l’envoûteur (eh oui, mesdames), a bousculé les convenances. Il a serré les dents, puis il a clamé haut et fort son droit d’humanité sensible, il n’a pas supporté plus longtemps l’insistance perfide.

Tout cela, mon pote (tu m’es de plus en plus familier, ô lecteur bien-aimé) s’est passé un dernier week-end de février de l’an 2000, ” février de cette année-là ” comme a pu chanté Maxime Le Forestier, mais c’était du temps où l’on avait encore des illusions.

Bref, car il faut en finir, les bogues se manifestent-ils là où on ne les attendait pas, dans une comédie politicienne où tout est habituellement si bien programmé ?