Chronique du 15 Octobre 2002

Ne t’est-il pas arrivé, ô lecteur, de battre le pavé sur le bitume ? Ne t’es-tu pas senti alors au seuil de l’absurde ? Désormais, si tu viens, si tu es, à Saint-Pierre, tu pourras battre le pavé sur le pavé, errant ainsi sans but, certes, mais sur des pavés propres à t’inviter à battre la semelle, surtout par temps froid.

Ton errance sera courte, puisque la portion pavée concerne la rue Albert Briand entre la rue Maître Georges Lefèvre et la rue Maréchal Foch, autrement dit entre le (j’ai bien dit “le”) C.I.A. – Comptoir d’Importation des Alcools -, et le Rustique (pas le calendos, mais un de nos bars favoris).

Il y avait des pavés place du Général de Gaulle, me diras-tu. Mais ils ressemblaient plus à une imitation bio-dégradable qu’à un bon pavé cubique, bien ferme et consistant, à même de conserver sa forme virginale dans nos salaisons hivernales. La rue pavée dont je te cause fleure bon l’authenticité minérale.

En fera-t-on pour autant une voie piétonne ? Ne rêve pas trop, te dirai-je. Ici les révolutions prennent tout leur temps. On n’en est pas encore à la prise de conscience de l’importance de tels espaces dans le paysage urbain. Attends les prochains rendez-vous électoraux. Le sujet nourrira bien quelque paragraphe bien pesé, voire un pavé de considérations affûtées sur une meule à idées, pour en envisager l’étude et la faisabilité. Mais ne jetons pas la pierre ; ce serait en faire mauvais usage quand elle est si douce à nos pieds.

Pense à la promotion sociale de nos élites tenant désormais le haut de pavé à moins que les voitures stationnées de part et d’autre ne les obligent à marcher au milieu de la rue.

Chacun trouvera donc son compte, le sans-emploi y compris (singulier si l’on parle de l’individu privé d’emploi, pluriel si l’on parle des sans-emplois) se retrouvant soudain sur le pavé sans son compte (vu qu’il n’a plus un radis) tout heureux d’en trouver un quand même (si tu m’as bien suivi).

Bref, cet événement méritait d’entrer dans l’histoire. C’est pourquoi, j’ai tenu en ce grand jour à jeter mon petit pavé dans la mare, pour le plaisir.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
15 Octobre 2002