Chronique du 27 Octobre 2002

C’est l’histoire de Marcel Proust parti à la recherche du temps perdu ; tu t’en souviens sans doute. C’est fou ce qu’on peut être obsédé par le temps qui ne suspend jamais son vol. On le découpe, on l’organise, le saucissonne, le réglemente. C’est ainsi que Saint-Pierre est entré dans la nuit du 26 au 27 octobre à l’heure d’hiver, tournant ainsi définitivement la page à un été 2002, conformément à un arrêté préfectoral (le seul élément arrêté, tu le noteras en passant, dans cette fuite éperdue du cours des choses, puisqu’il date du 18 mai 1993).

Pense à ces têtes blondes à qui l’on assène dès le plus jeune âge la dure réalité d’un emploi du temps. Vois ces agendas qui fleurissent sur les étals papetiers quand gémissent les sanglots longs des violons de l’automne à l’approche de l’hiver annonciateur du mois de janvier inéluctable et de ces grands tableaux cartonnés avec la nouvelle année soigneusement découpée en tranches. Ne t’es tu pas surpris à chercher sur Internet le meilleur agenda électronique pour y inscrire tes rendez-vous ? N’as-tu pas remarqué enfin qu’à force de planifier, de régenter le temps, on n’a jamais plus le temps ?
Tout est organisé, planifié, jusqu’aux loisirs, voire même le temps passé devant l’écran cathodique, pendant que maman est à la cuisine ou sous sa burka, conformément aux préceptes des religions les plus communément répandues.

C’est ainsi que l’Echo des Caps publie régulièrement chaque semaine le programme télé, soigneusement préparé par RFO elle-même, cette grande dispensatrice de je t’en fous plein la vue parce que tu en redemandes (comme toutes les stations télé d’ailleurs, cryptées ou pas, hertziennes ou câblées). A tel point qu’en cas de difficulté technique dans l’édition de l’hebdomadaire, il faut au moins essayer de préserver l’essentiel en imprimant le dit programme, faute de quoi la vie de tous ceux qui préparent les futures mutations génétiques (n’as-tu pas imaginé l’homme demain avec deux yeux sur un cul ?) en serait totalement bouleversée.

Lire le programme de RFO relève donc de l’acte de survie dans cette recherche incessante du temps programmé. Mon attention ne pouvait qu’être attirée par l’organisation de ce dimanche 27 octobre 2002 et j’ai voulu partager avec toi, ô lecteur anachronique, le fruit de mes observations cursives.
Sur Tempo (au nom prédestiné), à 20h17, “Vivement dimanche prochain” (même pas le temps de souffler, il faut déjà penser à la semaine suivante) ; à 23h06 (je poursuis dans l’ordre chronologique), “les feux de la rampe” ; à 22h00 (dans l’ordre chronologique encore), “les feux de la rampe” (sans doute pour ceux qui n’auraient pas eu le temps de se chauffer suffisamment à la rampe) ; à 23h01 (dans l’ordre chronologique de RFO), “Contre-Courant”. Je me disais aussi qu’il fallait bien, à un moment donné, remonter le temps pour s’y retrouver. A moins de zapper sur Télé SPM, l’autre canal, à 22h38 pour tomber sur “le temps retrouvé ! Preuve s’il en était besoin que la vie du téléspectateur accroché aux barreaux de sa grille horaire n’est pas une… ciné – cure (fallait bien que je la place, non ?)

Le tout bien évidemment un jour de grande perturbation horaire, vu que nous avons remonté d’une heure dans le passé en cette nuit d’octobre et que le risque est très présent de tempêter contre RFO et ses programmes complètement décalés, si on n’a pas changé l’heure à sa montre.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
27 octobre 2002