Chronique du 6 Octobre 2002

Un arrêté préfectoral sur “les établissements détenant des chiens sevrés lorsque le nombre d’animaux est compris entre 10 et 50” publié dans l’Echo des Caps du 27 septembre 2002 n’aurait pas retenu mon attention vu sa longueur – deux colonnes deux textes en petits caractères bien serrés) – sauf que sa longueur – deux colonnes de textes en petits caractères bien serrés précisément, a fini par m’interpeller.

Et j’ai voulu partager avec toi, créature bénie entre toutes les créatures – ou bipède darwinien (au choix), ma lecture réflexive. Car si tu veux héberger à Saint-Pierre et Miquelon dix chiens sevrés, ô lecteur – chasseur – animalier (l’un ou l’autre ou les trois en même temps), il te faut (accroche-toi le père) :

 une installation à plus de 100 mètres de tout lieu habité ;

 des murs, des cloisons, des plafonds imperméables et lisses ;

 un sol imperméable, avec une pente pour l’écoulement de la pisse et un petit trou qu’on qualifiera d’orifice avec un siphon affublé d’un panier grillagé pour filtrer la merde et le tout raccordé à l’égout ;

 des locaux bien éclairés, bien ventilés ;

 des niches en matériaux durs, faciles à nettoyer, surélevées de 10 centimètres (ni plus ni moins) par rapport au sol ;

 de l’eau potable sous pression à disposition des quadrupèdes (en stagnation) ;

 une cuisine (facultative), avec des murs bien lisses et imputrescibles, avec des chaudières surmontées d’une hotte filtrant les odeurs pour ne pas empester les voisins ;

 un réfrigérateur, une chambre froide (toujours pour la cuisine) ;

 le ménage sera fait au moins une fois par jour ;

 les déchets seront convenablement stockés ;

 « les niches, les sol et murs seront lavés et désodorisés chaque jour »…
Tu remarqueras au passage, ô lecteur que “sol est au singulier, “murs” au pluriel, ce qui te prouve toute l’attention portée au sort de nos caniches et autres chiens à poil noir blanc et feu.

Et je n’en suis qu’à la fin de la première colonne, pétri de perplexité (que faire si tu veux héberger entre 10 et 50 animaux non sevrés ?), puis d’admiration (la France ne mérite-t-elle pas une place de choix dans le Guinness Book pour son art des clapiers?) Sommes-nous aussi bien lotis dans nos quartiers mal famés ? (en France métropolitaine), dans la Silicone Vallée ? ( à Saint-Pierre)

En me promenant vers l’Anse à Ravenel, je me suis surpris à photographier des cabanes à chiens disséminées dans la nature au petit bonheur la chance, la tête dans les nuages d’où je pouvais apercevoir un hôtel cinq étoiles pour animaux abandonnés. Et l’image d’un grand village avec des cabanes à chiens sur pilotis tout au long d’une grève sans fin est venu submerger mon intense rêverie.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
6 Octobre 2002