Chronique du 7 Octobre 2002

Ne t’ai je pas déjà parlé de l’arrêté préfectoral consacré aux conditions imposées pour l’ouverture d’un hôtel pour chiens sevrés ? C’était hier, je crois. Or, ne t’en déplaise, je le remets sur le tapis. J’aurais pu le faire sur la toile cirée, mais la sensation n’aurait pas été la même.

Je résume le premier épisode.

Si tu veux héberger à Saint-Pierre et Miquelon dix chiens sevrés, ô lecteur – chasseur – animalier (l’un ou l’autre ou les trois en même temps), il te faut (accroche-toi le père) :

 une installation à plus de 100 mètres de tout lieu habité ;

 des murs, des cloisons, des plafonds imperméables et lisses ;

 un sol imperméable, avec une pente pour l’écoulement de la pisse et un petit trou qu’on qualifiera d’orifice avec un siphon affublé d’un panier grillagé pour filtrer la merde et le tout raccordé à l’égout ;

 des locaux bien éclairés, bien ventilés ;

 des niches en matériaux durs, faciles à nettoyer, surélevées de 10 centimètres (ni plus ni moins) par rapport au sol ;

 de l’eau potable sous pression à disposition des quadrupèdes (en stagnation) ;

 une cuisine (facultative), avec des murs bien lisses et imputrescibles, avec des chaudières surmontées d’une hotte filtrant les odeurs pour ne pas empester les voisins ;

 un réfrigérateur, une chambre froide (toujours pour la cuisine) ;

 le ménage sera fait au moins une fois par jour ;

 les déchets seront convenablement stockés ;

 « les niches, les sol et murs seront lavés et désodorisés chaque jour »…

Deuxième épisode.

Nom d’un chien ! aurais-je pu m’exclamer. Mais la plaisanterie eût été facile. Aussi ai-je attendu 24 heures, avant de la faire, car m’en abstenir eût été, paradoxalement, désinvolte.

Pourquoi cet arrêté bi-colonné (une page de deux colonnes dans l’Echo des Caps n°894 du 27 septembre 2002) aura-t-il donné tant de chien à mon regard aux abois m’interrogé-je ? Est-ce à force de tomber inexorablement sur des journaux télévisés locaux focalisant le plus souvent, faute de mieux, sur des sujets si ordinaires qu’on finit par s’identifier à des chiens écrasés ? Est-ce à force de vivre dans une communauté où, ne nous y trompons pas, derrière les salutations anodines, l’on se regarde trop souvent en chiens de faïence ? Est-ce l’angoisse du chroniqueur réalisant soudain qu’il déboule comme un chien dans un jeu de quilles, au point de risquer un jour l’enfermement propre à nos sociétés policées, surtout depuis que la droite est revenue au pouvoir ? Est-ce la peur d’être malade comme un chien et de se payer, au prix immodéré du ticket modérateur, une chambre à l’hôpital de Saint-Pierre dont on attend en vain le remplacement ? Est-ce à force de voir nos politiques s’entendre comme chien et chat ? Est-ce à force se comporter comme le chien du jardinier, attitude trop répandue dans notre archipélitude ? Est-ce la névrose du fonctionnaire pris comme un chien à l’attache, de sorte qu’on se demande si quelqu’un ne l’est pas ? Est-ce à force de crier : Merci mon chien ! à des enfants de plus en plus mal élevés ? Est-ce à force de ressembler de plus en plus à deux chiens après un os dès qu’une place se libère, au point qu’on se demande si on ne devrait pas distribuer gratuitement des peaux de bananes pour la relève de l’emploi ? Est-ce à force d’aboyer alors que la caravane des mesures prises sur notre couenne de chiens battus finit toujours par passer ? Est-ce à force d’être malheureux comme un chien qui se noie parce que c’est la rentrée et que les sanglots longs des violons de l’automne prennent le pas sur les rythmes endiablés de l’été ? Rompons donc les chiens, si tu veux bien, et revenons à nos moutons.

Premier constat, cet arrêté est bon à jeter aux chiens puisqu’il leur garantit un confort que la bipédie leur envierait. Juges-en plutôt. “Toutes dispositions efficaces seront prises dans toutes les parties de l’établissement pour (…) s’opposer à la propagation des bruits et empêcher l’introduction des mouches” !

Un certitude au moins : avec les dix-huit alinéas de l’article 2 dudit arrêté, nos chères têtes noir-blanc-et-feu ne risquent pas de tomber comme des mouches, même par temps de chien.

Un vrai bonheur !

Et pourquoi n’avoir abordé que le sort des chiens, alors que l’arrêté s’intéresse aux “animaux sevrés dont le nombre est compris entre 10 et 50”. J’aborderai la question des chevaux dans ma prochaine chronique.

Si tu ne prends pas la mouche (du coche) d’ici là.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
7 Octobre 2002