Chronique du 5 au 9 janvier 2003

4 janvier 2003, tempête de neige sur… Paris. Tempête ? Vous avez dit tempête ? Ô lecteur canadien, canadien français, canadien anglais, my fellow Canadian, ô lecteur archipellien, mesure l’ampleur de la calamité : cinq centimètres de tendres flocons qui auront perturbé tout le nord du centre nerveux de la francophonie. La Météo nationale avait pourtant fleuré la dépression, concocté des prévisions, mais la météo, la transnationale, la multinationale, l’internationale, est si imprévisible, tellement capricieuse ! On a donc salé les routes, mais trop tard. Résultat, neige, verglas et nuit blanche sur les rotules pour plusieurs milliers de bipèdes à tête grogneuse dans les cercueils blafards à quatre roues sur l’autoroute grippée, à qui on réclame de… payer le péage au bout de douze heures à se geler les glaouis dans un capharnaüm hivernal. Dans la foulée, annulation des vols à Roissy et Orly, ce qui se comprend, d’ailleurs. Panique à bord, bordel ! Et Ben Laden n’y est pour rien !

5 janvier 2003, plus de neige, partant… plus de départ pour les partants du 5, car il faut faire partir ceux qui sont restés la veille sur le carreau, sur le tarmac, le cul sur la ferraille roissynienne, les pieds sur le béton, toilettes et restaurants fermés, la gueule dans la mouise. Car à Roissy, monsieur, on ouvre les services indépendamment du trafic des passagers. Dans la foule, une douzaine de Saint-Pierrais. « On ne peut rien vous ! » d’assener l’agente, la garde-chiourme, la superviseuse, la supervisseuse, la supervicieuse d’Air France la préposée des comptoirs 9 et 10 du Terminal 2F de Roissy du 5 janvier 2003 . Et pourtant on essaie d’être tendre, patient. Pitié ! ô belle flic d’Air France, au nom du bien public qui te fait vivre… « On a eu des instructions, on ne peut rien ! » de réitérer la bellâtre. Et si on la prenait en otage ? me dis-je soudain. Sauf que les otages, en l’occurrence, c’est nous, les gogos, les brebis galeuses, les moutons noirs, les inconnus de l’an 2003. Car nos noms ont été supprimés des listes par décision unilatérale et péremptoire d’Air France ! Et nous, avec nos malheureux billets à tarifs exorbitants, de réaliser la fragilité, l’inanité, de l’être ultra-marin. Nous nous sommes vol…atilisés. Retrouverons-nous un jour nos arbres avec nos billets de singes ? Nos bois avec nos cornes ? Notre piste aux étoiles, à cause de ces empaffés du PAF aérien français ?

Nous voilà dans l’impossibilité de rejoindre Londres pour la connection avec British Midland. Séjour forcé à Paris, cascade des frais induits du non-désenclavement. A l’applaudimètre des gestions de crise, Air France ne dépasserait guère les 0 db. Trois jours supplémentaires pour se sortir du guêpier. Hôtel, taxi et tout le tintouin ! Merci Air France. Ironie du sort, alors que nous attendons un vol en direction de Londres au bout du troisième jour, notre vol est annulé à cause d’un problème de dégivrage des avions. L’aéroport de Paris a fait des choix, c’est tombé sur nos pommes ! Air France – Roissy – Charles de Gaulle, même combat. Ce nom porterait-il la poisse ? Tu te souviens, ô lecteur des déboires du porte-avions ? Je comprends que Napoléon ait pu perdre la guerre à cause de l’hiver. Cinq centimètres de neige et le plus grand aéroport de langue française est toujours aussi dépassé par les événements quatre jours après.

Mais le traitement du problème de British Midland n’a rien à voir avec Air France : tout le personnel se mobilise pour prendre en charge les passagers et les répartir sur les vols suivants. Le contraste est saisissant. Il n’y a qu’à Air France qu’on sait filer à l’anglaise en laissant les clients sur le carreau. 7 janvier 2003, nous partons pour Londres à 17h00 au lieu de 11h30. Cap sur l’avenir, comme dirait l’un. Vers l’Archipel demain, comme dirait l’autre. Et si l’on remercie British Midland, ce n’est pas à cause de la loi de Stockholm, celle qui te met en osmose avec tes ravisseurs, mais tout simplement que tous les agents de cette compagnie étaient à la hauteur et que les « ravisseurs », ce n’étaient pas eux.

Puisque je parle de lois du destin, connais-tu la loi de Murphy, ô lecteur aux neurones à vif ? Celle qui te garantit l’emmerdement maximum… L’avion de British Midland s’est posé à Londres, mais les bagages sont restés à… Roissy ! À cause d’une panne dans les équipements à rayons X, nous dit un préposé à Heathrow. Mais il n’est pas interdit de penser que c’est à cause d’une grève du zèle à l’aéroport de Paris, ajoute-t-il aussitôt. D’autres avions ont été touchés ces jours derniers. Nouvelle attente dans l’espoir de récupérer nos valises pour nous présenter à l’avion du lendemain, car le voyage n’est pas fini. La Manche n’est pas dans la poche, avais-je dit au départ de Paris. Mais les frais oui, ai-je oublié de mentionner. Une journée entière pour faire Paris-Londres avec ses valoches à la sortie du tunnel, merci Air France, merci Roissy. Mais qui sont ces guignols qui sifflent sur nos têtes ?

Bon, tu te dis que tout ça va se tasser, que tu vas retrouver tes pénates. Te voilà dans l’avion d’Air Canada à 11h30 rêvassant déjà à l’avion d’Air Saint-Pierre qui t’attendra sur le tarmac. Mais non, ô lecteur débordant d’optimisme. Londres est sous 2 centimètres de neige et Heathrow n’est pas mieux que Roissy. Quatre premières heures d’attente dans l’avion immobilisé sur la piste. Le commandant de bord donne des nouvelles toutes les demi-heures. On attend le camion de dégivrage qui finit par arriver. Patatras ! Il n’a plus de produit ! La cuve est à sec. On lanternera une heure de plus. Cinq heures à se dire que c’est foutu, râpé, qu’on se coltinera une journée de voyage de plus.

Rassurons-nous toutefois. La presse londonienne titrait que Londres était cette nuit en état d’alerte biologique ! Pas de temps morts pour les coups du sort ! De quoi rire… jaune, après coup. Quand on pense que deux à trois centimètres de poudreuse peuvent vous paralyser les maîtres du monde… Que ferons-nous le jour de l’hiver nucléaire ?

Mais le jour n’est pas au bout du voyage. Une heure et demie de fortes turbulences sur l’Atlantique, impossibilité de nous poser à Saint-Jean de Terre-Neuve à cause de vents violents et de 75% de glace au sol. Direction Halifax, en Nouvelle-Ecosse. Nous nous posons enfin, mais l’avion d’Air Saint-Pierre est parti depuis trois heures.

Une hôtesse d’Air Canada nous informe que nous avons été enregistrés sur un vol pour Sydney le lendemain ; Air Saint-Pierre nous y récupérera. En attendant, elle nous informe que la nuit d’hôtel est notre charge. Vous comprenez, les intempéries… De dégivrage en dégivrage, la note finit par être salée. La saga continue.

9 janvier 2003. Voilà cinq jours que nous sommes mis en route de Paris pour regagner Saint-Pierre. L’histoire se termine-t-elle là, ô lecteur trituré de curiosité ? Bien sûr que non. Lever 5h30. A 6h30, nous sommes au comptoir d’Air Canada pour nos tickets d’embarquement. IL y a eu un manque de communication entre les compagnies, nous dit-on. IL faut encore parlementer, négocier. Puis l’affaire se dénoue et le vol sur Sydney se déroule sans encombre. Un luxe… A Sydney, nouvelle surprise. Les sept personnes que nous sommes doivent se diviser en deux groupes, car le premier vol ne peut prendre que… quatre passagers. Cerise sur le gâteau, le Navajo d’Air Saint-Pierre est parti sur Saint-Jean de Terre-Neuve en évacuation sanitaire. Il faut encore attendre. Le premier groupe partira à 15h45. Quant à nous, les trois derniers naufragés, nous retrouverons notre terre de France au Canada à 21h15 à bord du Navajo salvateur, en compagnie de ses deux pilotes dévoués. Et comme pour apporter une note d’humour, toujours nécessaire, les formalités ayant été accomplies, nous nous « cassons le nez » sur… les portes closes de l’aéroport, mais de l’intérieur. Le gardien pouvait-il se douter qu’on jouait un remake de « Vol de nuit », comme au temps de Saint-Exupéry ?

En fin de compte (courant), cinq jours de galère pour se retrouver sur le Caillou. Un surcoût de l’ordre de 450 euros par tête de « menés en avion », de « pigeons » voyageurs. Quatre compagnies se seront succédé pour nous ramener à bon port ; Air France se sera bien sûr déchargée de toute responsabilité. Elle n’est pas belle la continuité territoriale ?

A quand le prochain forum du désenclavement de Saint-Pierre et Miquelon ? Avec des p’tits fours et du vol-au-vent pour se remonter le moral. Mais qu’est-ce ça veut dire au juste, la continuité territoriale ? de demander un neurone affaibli par le poids des désillusions. A.F. : Air France ou Arrogance Française ? Paris-Saint-Pierre en 5 jours ! N’est-on pas en train de réécrire Jules Verne, mais à contre-courant ?

5 jours pour échapper à l’incurie d’Air France qui a refusé obstinément de s’occuper de ses clients du 5 janvier alors qu’il y avait la possibilité de mieux gérer la crise, à la manière de British Midland, par exemple, en prenant en compte prioritairement les connections internationales ; 5 jours pour faire le trajet Roissy-Pointe-Blanche. A quand l’extension de la saison touristique pour profiter au prix fort de nos hivers ? A condition que le temps suspende son vol pour pouvoir venir jusqu’à Saint-Pierre.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
9 janvier 2003