Le Ravenel – Dossier de l’Echo des Caps No 842

NUMERISE ET REPRODUIT AVEC LA PERMISSION DE L’AUTEUR ET DE LA REDACTION DE L’ECHO DES CAPS – André Lafargue

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Avant la Fête du 3 juin prochain,
et en hommage à de valeureux marins…

Le Ravenel : il y aura 40 ans en janvier 2002

Membre de notre comité de rédaction pendant de nombreuses années,
Jean-Claude Fouchard a attiré notre attention ces dernières semaines sur
l’histoire très particulière d’une maquette du chalutier « Ravenel »,
disparu avec son équipage en 1962. Nous lui avons demandé de bien
vouloir mener l’enquête pour nous.

Enquête de Jean-Claude Fouchard

Avant-propos de l’auteur : Ces quelques lignes sont destinées à apporter
quelques informations concernant la maquette du chalutier « Ravenel ».
Il m’a été assez difficile, à ce jour, de recueillir spontanément des
renseignements précis et complets sur le sujet. Les faits qui suivent
sont donc le résultat d’une enquête personnelle n’engageant que moi. Il
me sera toutefois agréable d’y apporter d’autres précisions ou
rectifications si des personnes le jugeaient nécessaire.

Le chalutier « Ravenel » est arrivé à Saint-Pierre en novembre 1960,
sous la responsabilité du capitaine René Lehors qui en assura la
traversée Saint-Malo/Saint-Pierre via Saint-Jean de Terre-Neuve.
Il avait été construit en France (Saint-Malo) pour la Société de Pêche
et de Congélation (SPEC) qui possédait déjà d’autres unités. Ces
chalutiers alimentaient de poisson frais l’usine frigorifique située à
l’extrémité de la route du Cap à l’Aigle.
Ces bateaux avaient pour noms : Galantry I et II, Savoyard I et II,
Colombier, Rodrigue, Jan Maria et le dernier, Ravenel.
Les habitants de Saint-Pierre et Miquelon se souviennent du tragique
accident qui arriva : le 28 janvier 1962, le « Ravenel » était porté
disparu avec les quinze personnes comptant à son bord.

L’article qui suit n’a d’autre but que de rendre hommage à ces valeureux
marins.

Comme il est coutume dans la construction navale, à chaque sortie du
chantier d’un navire, une maquette accompagne sa production, témoin
miniature de la réalisation.

Photo collection Joe Delage

Il semblerait que la maquette du « Ravenel » (photo n°1) ait été
construite en 1960 par des artisans qui gravitaient autour des chantiers
Mougin de Saint-Malo, d’où est sorti le chalutier, chantiers d’abord
devenus Siccna, puis ACM de la Manche (construction du chalutier
congélateur « Le Bretagne »), puis encore Leroux et Lotz et enfin Alstom
Leroux Naval (construction du paquebot « Le Levant »).
C’est à bord du cargo « Pinta » (armement Paturel-Dagort), que la
maquette « serait arrivée » à Saint-Pierre. Au cours de l’année 1961,
elle faisait partie du groupement de navires ou goélettes que l’on
conduisait en procession pour la bénédiction de la mer lors de la
traditionnelle Fête des Marins.
En 1962, c’est le naufrage du « Ravenel ». Dès lors, la maquette n’est
plus montrée en public…
Durant la période qui suivit, la maquette, qui « aurait été entreposée »
à l’ancien Musée de Saint-Pierre, aurait été symboliquement retournée en
Métropole pour, dit-on à l’époque, contribuer à « enquête ou expertise
»…
Pendant ce temps à Saint-Pierre, un projet de refaire une maquette «
semble » avoir été mis en route par M. Gabaret, alors Directeur de
l’Ecole Technique, aujourd’hui Lycée Technique, mais « n’aurait pas
abouti »…

Plus tard sous l’impulsion des autorités, et à la demande de la Société
des Marins, à l’initiative de MM. Pierre Frioult (Président) et Gustave
Lafargue, on confia à M. Jean Yon, Chef de l’atelier bois des Travaux
publics, la construction d’une maquette qui « ferait mémoire au Ravenel
tout en n’étant pas la réplique exacte afin de ne pas trop “choquer” les
familles ».

C’est ainsi qu’avec les plans de construction du chalutier disparu, M.
Yon s’attela à l’exécution de la maquette (photo n° 2) avec le précieux
concours, notamment, de MM. Joseph Bourgeois et Maurice Larralde,
ouvriers artisans bien connus.

Photo collection Jean-Claude Fouchard

Dans cet esprit de « reproduction non conforme », on travailla d’après
plans, dans l’atelier d’abord, puis, « sur le terrain », on s’inspira
d’un autre chalutier de la SPEC, le « Jan Maria » qui était amarré au
quai (emplacement actuel du Cap Blanc).

Cette représentation a une longueur de 1,23 m pour une largeur de 0,20
m. Il faut savoir que les petites « boules » blanches situées sur les
câbles des mâts (poulies appelées aussi marocains ainsi que les
isolateurs) sont des perles en bois du chapelet appartenant à la
grand-mère de M. Jean Yon ; que les poissons qui garnissent les parcs à
poissons, sur le pont, sont des épinoches séchées, pêchées par lui à la
« Pointe Enragée », petit cap situé en face de l’incinérateur ; que le «
gaillard » a été confectionné avec du treillis à mailles carrées qui
provenait du « Ranch à Pichon » ; et que les mâts sont construits avec
du « fin tubing ».

La construction s’échelonna sur presque deux mois en cette année 1966 ;
et le navire appelé « Notre Dame des Marins » devint la propriété de la
Société des Marins qui l’inclura dès lors dans son cortège de fête.

Les années s’écoulèrent…

Un jour, M. François Chauvin, à l’époque Chef de cabinet du Préfet de
Saint-Pierre et Miquelon, Jean-François Carenco, reçut un appel
téléphonique de Métropole, d’une de ses connaissances qui était en
charge de la rénovation de locaux au Ministère des DOM-TOM à Paris, et
où étaient groupés divers objets (collections-expositions, etc…) ; il
fit part à son interlocuteur que s’y trouvait une réplique d’un bateau :
« Ravenel, immatriculé 205 SPM ».

M. Chauvin, qui connaissait précisément bien l’histoire de l’Archipel,
celle de la pêche et de la disparition du chalutier, en accord avec sa
hiérarchie, prit la décision de faire revenir cet objet de mémoire au
pays. Lors d’une relève d’un peloton de la gendarmerie mobile, par
Transall C160 de l’armée de l’air, une grande caisse en bois de deux
mètres de long et contenant la maquette arriva à Saint-Pierre en 1996.
Elle aurait été confiée « sous sa responsabilité » à l’association des
Amis du Musée, pour qu’elle s’ajoute aux collections du patrimoine de
nos îles.

Cependant, plusieurs structures étaient fortement endommagées ou
s’étaient détériorées au cours de ces longues années et nécessitaient
absolument une rénovation. Mais qui se chargerait de ce délicat travail ?

En accord avec les représentants des associations des Amis du Musée et
de la Société des Marins, mais aussi grâce aux démarches d’autres
personnes, notamment des « Orphelins du Ravenel », on décida de confier
les travaux à effectuer, à M. Joseph Orsiny, artisan de Miquelon. Grâce
à un travail minutieux, cet excellent artiste, répara, rajouta, fixa,
renouvela tout ce qui avait besoin de l’être, et ce, durant trois
semaines.

Photo collection Studio Briand et Fils

La maquette a retrouvé son allure d’antan, et le résultat est
spectaculaire.

La coque est partiellement construite en bois, prolongée d’une partie
métallique à l’avant et à l’arrière, tout comme la timonerie, les mâts
et les gréements.

La longueur est de 1,40 m pour une largeur de 0,32 m, et l’ensemble est
posé sur un « lit décoratif » représentant la mer.
La population devrait pouvoir apprécier et admirer ces deux maquettes
lors de la prochaine Fête des Marins, fixée au 3 juin cette année. Elle
sera certainement émue mais fière de retrouver dans le cortège de la
procession ces éléments du patrimoine local, dont un a été sauvé in
extremis.

Qu’on me permette ici de remercier les nombreuses personnes qui m’ont
reçu ou transmis des informations au cours de mes recherches, et
notamment M. Jean-Luc Dérouet, Président en exercice de la Société des
Marins.

J’aimerais, pour conclure, porter à votre connaissance ces quelques vers
d’un poème écrit par M. Roland Lehuenen en 1956, intitulé « Rêverie
Océane » et dont le Club des Lions s’était déjà inspiré, en témoignage
de sympathie pour les familles des disparus du Ravenel, en 1962 :
« Accoudé sur tes rocs, ô grève, je médite
A ceux qui sont partis et pas tous revenus,
En pensant que la mer, cette fille maudite,
Ne nous les rendra plus. »