Condition féminine d’hier à aujourd’hui

Le 8 mars 2003 marquera le 15 ième anniversaire du premier forum organisé à St Pierre sur ” La condition féminine”. Suite au premier forum de 1988, Anita Lafargue, écrit dans le Vent de la Liberté, Avril 1988 Numéro 12, ses impressions sur le sujet. En 1999 elle propose encore son point de vue. Voir: Anita Lafargue. Cependant j’ai pensé qu’il serait intéressant de ré-imprimer ce premier article vieux de 15 ans qui montre la détermination d’Anita sur un sujet qui lui est si cher.


CONDITION FEMININE D’HIER A AUJOURDHUI

Le vent de la liberté : Avril 1988 – Numéro 12.

Anita Lafargue

Je n’ai pu assister au premier forum sur la condition féminine car j’étais absente du Territoire, mais j’en ai lu avec intérêt les différents rapports.

Bien des points sont restés dans l’ombre; évidemment, on ne peut pas tout faire en un seul colloque, mais, désormais, on avancera sur des bases établies et non plus à l’aveuglette.

Une phrase a cependant particulièrement retenu mon attention: “Un grand pas est ainsi franchi, et l’avenir des femmes de l’Archipel est beaucoup plus encourageant que son passé”.

Le passé des femmes? Lequel? Celui d’hier qui a précédé le forum ou celui d’avan-hier, c’est-à-dire des femmes qui ont aujourd’hui soixante-dix ans?

Pour moi, je ne reconnais que ce dernier. Ces femmes avaient 20 ans ou plus à l’aube de la seconde guerre mondiale et qui, pardonnez-moi, n’existaient pas en tant qu’individus puisque leur seul statut légal était: “Mme X, femme au foyer ». Elles ne votaient même pas!

Je ne veux pas jouer ici la “Mère Préchi-Précha” (ce n’est pas mon genre) mais ces femmes qui font aujourd’hui partie de notre société, méritent qu’on parle d’elles.

Reportons-nous donc en ces années qui précèdent la guerre et examinons un peu la “condition féminine” à cette époque.

D’abord, la femme avait le droit de travailler, c’est vrai; mais dans quelles conditions?

Dans la mentalité de l’époque, il n’était pas question de lui donner une formation particulière puisqu’elle était destinée à se marier et son mari allait s’occuper d’elle. Donc, dans le meilleur des cas, elles sortaient de l’école à 13 ans pourvue ou non de leur certificat d’études primaires et en attendant ce mari hypothétique, il fallait bien “gagner sa vie”.

Certaines entraient comme apprenties chez une couturière pour apprendre un métier. À l’époque, cela offrait quelques débouchés, le prêt-à-porter n’ayant pas envahi le marché. D’autres se casaient dans le commerce et percevaient un maigre salaire pour, au minimum, 9 heures de présence journalière; enfin, la plupart d’entre elles devenaient “bonnes a tout faire”, c’est-à-dire que, pour un salaire plus que médiocre puisque non réglementé, elles remplissaient de multiples fonctions chez les gens aisés.

Vous me direz qu’à ce régime elles étaient fin-prêtes au moment de se marier à remplir de rôle que l’on attendait d’elles, mais quand même! Quelle jeune de 16 à 18 ans accepterait aujourd’hui un tel asservissement?

Il y avait aussi un autre problème: celui des “vieilles filles”; on dirait aujourd’hui femmes célibataires. J’en ai connu; la plupart vivotaient de petits travaux, mais surtout de la générosité du voisin et de l’appui de la famille.

Certaines jeunes filles de familles aisées ou de familles plus modestes parfois, mais qui avaient déjà compris l’importance de l’instruction, obtenaient leur Brevet Élémentaire, mais alors survenait le problème des débouchés.

On acceptait à l’époque qu’une institutrice puisse continuer à exercer après son mariage (c’était à peu près la seule profession féminine reconnue) mais les postes étaient peu nombreux.

D’autre part, dans les services administratifs, on utilisait les services de quelques femmes dactylographes et je ne crois pas mentir en disant qu’on les comptait sur les doigts d’une seule main. Alors qu’elles soient de bonnes familles, ou de milieu modeste, les jeunes filles n’avaient d’autre avenir que d’élever leurs enfants, ni d’autre horizon que les casseroles, le balai et le chiffon à épousseter. Entendez-moi bien, je n’ai rien contre la femme au foyer; je pense que cela relève d’une vocation mais aujourd’hui on peut faire ce choix tandis qu’à l’époque il n’existait pas d’autre alternative.

La France Libre en prenant possession des îles, à Noël 1941, a marqué un tournant dans la vie dés jeunes filles.

L’établissement d’une base militaire à Saint-Pierre avec tous, les services que cela suppose, a permis à ces dernières de se retrouver dans les transmissions, aides-soignantes à l’hôpital, etc. et elles se sont ainsi découvert d’autres aspirations. Un nouvel avenir s’ouvrait devant elles. Désormais, le pli était pris, plus question de revenir en arrière.

Pour les jeunes femmes de l’époque, rien ne changeait; sauf pourtant le droit de vote. Et je me souviens parfaitement l’attitude de ma mère, qui devait avoir 50 ans à l’époque. Ce droit lui donnait l’impression qu’elle était devenue “quelqu’un”.

Je me souviens aussi de l’avoir vue rentrer à la maison un jour, outrée parce qu’un voisin lui avait dit que les femmes votaient bien sûr, mais que cela ne changeait pas grand chose puisqu’elles se devaient de mettre dans l’urne le même bulletin que leur mari. Elle l’avait d’ailleurs vertement rabroué. Petit détail me direz-vous, mais combien éloquent puisqu’il faisait apparaître, d’une part le sentiment de frustration que ma mère avait du ressentir toute sa vie, et d’autre part, la domination que l’homme pensait pouvoir exercer sur la femme.

Aujourd’hui, tout cela c’est du passé, c’est vrai ; mais c’est ce passé qui conditionne le présent et prépare l’avenir. Et si tout n’est pas parfait encore pour les femmes, vous vous devez, pour celles qui vous ont précédées, pour vous, pour vos filles, de lutter pour acquérir, sans renier votre identité féminine, le droit au travail dans tous les domaines. Tous les espoirs sont permis aujourd’hui. Chaque femme peut se réaliser puisque presque toutes les professions lui sont ouvertes. Il faut simplement le « vouloir », et ce premier forum, suivi certainement de plusieurs autres, vous y aidera, j’en suis certaine.

Anita Lafargue