Merci d’être venus

Tiens, je vais commencer par la fin. « Merci d’être venus ». Je ne parle pas pour toi, car je te vois singulier, non pluriel. « Merci d’être venus », c’est la dernière chanson de l’album 2002 de Georges Chelon. « Merci d’être venus, ça me fait chaud au cœur ». Merci à toi, ô lecteur, soit dit en passant.

Effet d’un monde bringuebalant ? Incertitude du lendemain ? Explosion de la navette Columbia ? Bruit de bottes vers l’Irak ? « On avance, on avance / Là-bas sur le chemin / La lumière qui balance / Déjà marque la fin ». Ce n’est pas très gai, tu diras. C’est vrai, et Georges Chelon a le recul sur une vie où tout capsaille, comme on dit chez nous. Mais le mot n’est pas dans sa chanson. Car il ne s’agit pas de baisser les bras pour autant : « Qu’on vous honore ou vous condamne / Osez / Qu’on vous bénisse ou qu’on vous damne / Créez ».

Et la création est au rendez-vous sur l’Archipel, par la chanson, la peinture, l’artisanat. Le Centre culturel innove même avec un atelier d’écriture de… chansons, précisément en ce début février 2003, avec des artistes venus de Lille. Car le Verbe s’est fait chair, ne l’oublie pas. Sans les mots, que serait la vie, surtout quand tangue le navire ?

Et Georges Chelon d’écrire au Président. Lequel ? Devine. « Voyez, je ne dis rien qui puisse vous déplaire / Si ce n’est que j’ai une sainte horreur de la guerre ». Boris Vian, ça te dit quelque chose, ô lecteur hésitant ? Pour l’instant, le nôtre, le président, Jacquou, pas le croquant, nous dit qu’il dira non. Mais pour combien de temps ? Il te fout pas la trouille, à toi, ce Georges W, avec ses yeux glacés ?

Alors, Georges Chelon écrit ses « Lettres ouvertes », titre générique de son CD. « J’ai mal aux gens et j’ai souvent de violents maux de terre / Moi qui pourtant suis né du bon côté de la barrière ». Phrase superbe de la chanson « Tant et Tant ». Ne faut-il pas savoir regarder de l’autre côté du mur, comme a pu écrire Gilbert Laffaille ? Peut-on se laisser engourdir par la mousse qui nous émousse ? Je te le demande. « Rassure-moi j’ai peur de ce qui peut advenir », écrit encore Georges Chelon. Et sa voix coule, de mélodie en mélodie, dans des arrangements de facture classique, certes, mais réussis. Voix bien dosée, portée par basse, guitare, saxophone et piano, avec un zeste de violon de Didier Lockwood,

Mais l’espoir est toujours là « Au-dessus des nuages / Il y a du soleil ». Et n’est-ce pas ce qui nous porte, malgré l’incertitude. « Le monde a peur », certes, depuis la destruction des tours du World Trade Center ». « Il faut les reconstruire avec beaucoup d’amour / Ces tours ». Sans oublier les hommes, les autres, les exclus de la terre, comme à Rio, alors que les touristes se baladent avec leur « Lacoste sur le dos ». Car l’humanité est face à un défi majeur « Comment rendre l’honneur à ceux qui ne l’ont plus / A l’enfance violée, à l’enfance battue / Comment rendre l’espoir à ceux qui l’ont perdu » ? Mais méfions des réflexes faciles, de la tentation du repli sur soi et de celle de l’exclusion. « Alerte citoyens » ! de crier le poète.

Un CD débordant d’humanité pour nous aider à deviner le coin de ciel bleu dans un ciel tourmenté. Merci d’être venu, ô lecteur. J’aime à partager avec toi cette quête de l’autre pour que demain soit beau.

Henri Lafitte, Chroniques musicales
2 février 2003

Georges Chelon, Lettres ouvertes
EPM 1989422
2002