Une belle page de culture – patrimoine

Alors que résonne le martèlement des tambours de la guerre aux accents de God Bless America d’un Georges Bush pétri d’une certitude nourrie de toute-puissance et d’impunité, l’association Miquelon Culture Patrimoine aura su porter haut les couleurs de la fraternité de l’histoire entre Français, Acadiens et tribus Micmacs, tous en prise à la terrible répression anglaise.

Après une grande première à Miquelon, c’était au tour de Saint-Pierre de profiter le 7 mars 2003 au Centre Culturel de la nouvelle pièce de théâtre portée par une troupe dynamique soucieuse de contribuer à sa manière à la commémoration à venir en 2004 de quatre cents ans d’histoire acadienne, notamment dans la relation avec Terre-Neuve. Une belle réussite.

Dans l’écriture d’abord, textuelle d’Isabelle Astier et musicale d’Anne Brisset, toutes deux de métropole, bien entourées localement dans leurs recherches ; dans une articulation bien pensée ensuite, entre les tableaux et les chants indiens ou miquelonnais. Nous sommes dans un avion, en pleine tempête. Un enfant a peur ; il est de Miquelon. A ses côtés, un chef indien, venu de Terre-Neuve, fier descendant de ses frères Micmacs. Et l’adulte – de rassurer l’adolescent en lui racontant une page d’histoire partagée par les deux communautés, à la manière d’un conte de fées, mais évoquant la réalité tragique du harcèlement anglais, de la faim, de la misère et du froid.

Grand saut dans l’histoire, en hiver, à l’approche de Noël, tour à tour à Terre-Neuve, chez les Micmacs, ou à Miquelon. De part et d’autre, il faut lutter pour survivre, alors que les tensions subsistent malgré la paix . Le mérite de la pièce est d’aborder le doute qui traverse certains esprits. Faut-il se rallier aux Anglais pour enfin manger ? de demander un jeune Indien, Peut-on courir le risque de fâcher la couronne d’Angleterre en offrant l’hospitalité à des Micmacs ? de rappeler le baron de l’Espérance, à Miquelon. Non et non, car ils peuvent nous apporter des maladies, de clamer la sage-femme, personnage campé de belle façon par Joëlle Detcheverry dont chacun aura apprécié l’intensité de sa présence sur scène. D’ailleurs ce personnage symbolisera la force des retrouvailles, de la solidarité, quand surmontant sa propre souffrance -mari et enfant auront péri accidentellement alors qu’ils s’en allaient à la rencontre des Micmacs -, elle entre sur scène débordante de joie avec le bébé d’une jeune Indienne qu’elle aura enfin aidée à accoucher.

Dures réalités d’alors, force de caractère, sens de l’entraide, de l’amitié entre Micmacs, Acadiens et Français établis sur les îles redevenues françaises après le traité de Paris de 1763, chaleur de l’hospitalité, complexité de l’âme humaine, forte empreinte de la religion…, le spectateur aura ainsi pu plonger dans une page d’histoire trop longtemps refoulée.

« On nous appelle les Indiens », de me dire amusé et heureux le président de l’association à l’entrée de la salle. La vingtaine de comédiens de Miquelon, avec « Un Noël pour les Mi’kmaqs », aura porté haut les couleurs d’une identité aux influences multiples. Bel exemple de partage entre communautés, quand le XXIe siècle ploie à son tour sous l’exacerbation des rivalités.

Henri Lafitte, 8 mars 2003