Lekbir, premier album

Qui l’eût cru, que la musique de nos îles subarctiques aient un jour un fort accent oriental qui sente bon le sable chaud marocain et qui nous représente pourtant ? Et c’est pourtant le tour de force de Lekbir Halili, Saint-Pierrais d’origine marocaine d’avoir semé les germes d’un futur CD, sur la lancée des Musicales Atlantiques de 2001 où le public s’était laissé emporter par le groupe Safina,

Nouvel opus insulaire donc en ce printemps 2003, intitulé « Saktouna » (Ils nous ont fait taire), de Lekbir Halili. Dès le premier titre, nous voici emportés par la protestation de l’artiste « Ils nous ont fait taire avec leurs paroles aux bulletins de nouvelles », dont l’auteur nous fournit la traduction dans le livret puisqu’il chante dans sa langue maternelle, alternant avec celle de sa terre d’adoption, dans une oscillation entre sa terre d’origine, omniprésente dans son album, et celle qui lui permet aujourd’hui de se révéler en tant qu’auteur, compositeur, interprète.

Enregistré hors de l’Archipel, à Paris, à Montréal, l’album est le prolongement des rencontres avec les musiciens des îles, qui lui auront préparé le terrain pour d’autres rencontres, illustrant une nouvelle fois l’interaction musicale que l’Archipel permet désormais grâce à ses manifestations estivales.

Treize titres jalonnent ce parcours musical, aux sonorités entremêlées d’Afrique et d’Amérique, toutes deux du Nord. Treize textes qui invitent également à la lecture pour apprécier l’engagement de l’auteur dans un monde déchiré : « est-ce qu’on n’est pas tous humains / Du Tibet ou Palestinien / Et dont tous les orphelins sont / Haine et chagrin » (Salama, La Paix) Regard sur un cheminement individuel : « Toujours malheureux, ma tête tourmentée / A cause de tous ces jaloux / Je suis parti / Je les ai tous laissés » (El Wali, L’homme saint) » Moment de doute : « Je suis fatigué, j’en ai marre / Ce qu’ils disent me fait mal, me blesse, m’a usé » (Aayit, Je suis fatigué), constat qui s’applique quel que soit le lieu. Hommage émouvant à la mère, partie vers l’au-delà, de par-delà les vagues, « Je chante pour toi, Maman » (La Berbère)

Par son parcours, sa langue, ses rêves, ses images, Lekbir nous offre ainsi un bel album saint-pierrais par la force du partage qui s’en dégage, dans une rythmique rock, raï, rappée, qui nous emporte immédiatement.

Henri Lafitte, Chroniques musicales
3 mai 2003

Lekbir, « Saktouna », Productions LEK 2003

E-Mail : lek56@yahoo.fr