Chronique du 9 août 2003

Et dire que cela aurait pu m’échapper. Et pourtant, cher lecteur, le 20 juin 2003 aura connu un événement majeur, dont l’ampleur – puisque je vais te dévoiler de quoi il s’agit -, ne va pas t’échapper.

Le 20 juin 2003, le Journal Officiel de la République française a officialisé l’emploi du mot « courriel » pour les « e-mails » que tu envoyais – je dis “tu” histoire de te titiller, car le “nous” est plus approprié -, sans porter attention au préjudice que tu portais à notre langue. Désormais, les administrations devront s’y plier. Quand tu sais l’importance de la fonction publique au royaume de France – eh ! ne me dis pas que la monarchie a été abolie parce qu’on a coupé la tête à Louis XVI -, nul doute que ce nouveau vocable est promis à un brillant avenir.

Et c’est tant mieux. Car notre égocentrisme franchouillard n’a-t-il pas trop tendance à ignorer les effets dévastateurs sur le long terme du jogging, du shopping, des parkings, du business, comme dirait Denise Bombardier, cette journaliste québécoise de talent qui nous a concocté en l’an 2000 sa « Lettre aux Français qui se croient le nombril du monde » ?

Et tant pis pour les Francocentriques – on dit bien les égocentriques -, parce que le mot courriel est utilisé par les Québécois et les Acadiens depuis l’avènement du « courrier électronique » et qu’il faut bien se rendre à l’évidence : l’enrichissement de la langue vient bel et bien de se réaliser grâce à l’apport des francophones. La France a tenté d’imposer le « courrier électronique », mais elle s’est fait damer le pion par plus imaginatifs qu’elle. D’ailleurs, le journal officiel le précise : « Ce terme annule et remplace « courrier électronique » publié au Journal officiel du 2 décembre 1997. »

Preuve s’il en était besoin que l’avenir de la langue française ne se joue pas uniquement en Île-de-France.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
9 août 2003

Référence : Denise Bombardier, Lettre ouverte aux Français qui se croient le nombril du monde, Albin Michel, 2000