Au carrefour des grandes incertitudes

Certes, Nicolas Sarkozy, notre fringant ministre de l’Intérieur, nous sera apparu sur les ondes de France 2, dans l’émission « 100 minutes pour convaincre » du 20 novembre 2003 comme déterminé, bien dans sa tête, à la hauteur de sa tâche en quelque sorte. Sa volonté de répondre à l’attente des Français sur le terrain de la sécurité est incontestable. Il aura été plutôt bon sur la question du port du voile dans son duel avec l’intellectuel musulman Tariq Ramadan, acculant ce dernier à admettre que le port du voile dans les écoles françaises ne pouvait pas être admis, sans pour autant qu’il faille une nouvelle loi pour y arriver. Son indignation à l’encontre de la lapidation des femmes était louable. Il y avait en effet de quoi sursauter quand Tariq Ramadan employa le mot de « moratoire » sur le sujet, le temps, précisait ce dernier, de mener à bien le débat nécessaire. Un moratoire ? Le mot pouvait surprendre effectivement.

Il aura été moins bon dans son échange avec Christophe Aguitton du mouvement altermondialiste Attac en ne reconnaissant pas que la violence se développe aussi sur le terreau du désespoir quand, au nom du libéralisme, tant de gens se retrouvent licenciés, sans emploi, sans perspective, condamnés à la misère. Sur ce thème, Sarkozy s’arc-bouta sur la seule notion de « sécurité » en esquivant l’introspection nécessaire sur les effets de la politique économique menée par le gouvernement de Jean-Pierrre Raffarin.

Il aura tenu bon dans l’affrontement avec Jean-Marie Le Pen, ce forcené de la politique ultra-droitière. Pour qui ne connaissait pas encore le leader du Front national – on peut se laisser avoir par sa mémoire -, il y avait de quoi ressentir des frissons dans le dos. Vous savez le ministère que vous auriez dans mon gouvernement ? lui a lancé Jean-Marie Le Pen, « celui de la propagande ». Dans l’appellation même de ce ministère, ô lecteur, n’y a-t-il pas comme un relent révélateur d’une époque qu’on voudrait être définitivement révolue, celle de l’Allemagne nazie et de son tristement célèbre “ministère… de la propagande” ? Décidément, quand l’homme sort de ses gonds, on retrouve facilement la bête qui s’y cache.

Reconnaissons alors le mérite de Nicolas Sarkozy de s’être complètement dissocié d’une telle démarche politique. Mais le risque des futures dérives électorales est grand si les responsables politiques persévèrent dans leurs assurances sans prendre en compte les réalités du terrain, là où le mécontentement gronde.

A la 100e minute, le téléspectateur pouvait être convaincu que le débat démocratique est plus que jamais nécessaire. Car la France n’est-elle pas au carrefour des grandes incertitudes ?

Henri Lafitte, 21 novembre 2003