Chronique du 22 décembre 2003

Beau temps, mauvais temps, la thématique barométrique est, comme tu t’en doutes, montée sur des ressorts ; elle rebondit de jour en jour. Sauf que dans les conversations de cette fin décembre 2003 elle est supplantée sur nos îles par une autre qu‘on croyait entrée au panthéon d’un autre temps, le révolu, le t’en souviens-tu, le temps qui a fait son temps, le temps qu’on a derrière soi, le temps perdu, le temps mort, voire le bon temps (comme si c’était vrai).

On parle, on reparle, on parle le matin, l’après-midi, le soir, on parle… du dernier bateau, comme pour être en vogue. Est-il venu, est-il parti, est-il en rade, est-il à quai ? Car un bateau peut être en rade en rade, si, si (non, non je ne bégaie pas). Aujourd’hui, il ne pouvait accoster les pilotes ayant rendu leur tablier à la préfecture, vu qu’ils viennent d’être déboutés dans le conflit qui les oppose au transporteur. Pas besoin de pilote, a dit celui-ci. Oui, il en faut un, a décidé la préfecture par arrêté. Non, il n’en faut pas, a dit le transporteur devant le tribunal. Oui, il en faut un, a jugé celui-ci. Non, il n’en faut pas, a dit le deuxième, en appel, car l’arrêté ne marchait pas, ce qui explique le blocage. Le CEC Daisy ne pouvait donc accoster. La crise ! Le délire, en quelque sorte. Puis il a pu enfin trouver sa bitte, histoire de se détendre.

Mais ce n’est pas tout. Car pour décharger Daisy, il faut le (car Daisy s’accorde au masculin) prendre par le côté, ce qui n’est pas donné. On ne peut pas le prendre par derrière, comme son prédécesseur. Ah ! La joie de la grue à nouveau sur le qui-vive ! Nous voilà quinze, vingt ans en arrière comme aux beaux jours de l’Île de Saint-Pierre. Cure de jouvence pour les plus vieux et paradoxalement, coup de vieux pour les plus jeunes.

Cerise sur le gâteau, le téléspectateur a désormais droit au compte-rendu irrégulier (tout dépend de l’arrivée du cargo, forcément) de la marchandise qui arrive. Une maison par ci, trois containers par là. D’ici peu, on fera de même pour l’avion comme dans les années soixante où le speaker de l’ORTF annonçait d’une voix scrupuleuse et profonde : « Monsieur Albert Briand, monsieur Marc Morazé » ont quitté l’Archipel ; « monsieur Albert Briand, monsieur Marc Morazé » sont arrivés aujourd’hui de Sydney, avant d’entendre quelques jours plus tard : « Monsieur Albert Briand, monsieur Marc Morazé » ont quitté l’Archipel… Car c’était, tu t’en souviens sans doute, le temps où l’auditeur voyageait par délégation.

L’Archipel finira-t-il à fond de cale ? de s’interroger un observateur.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
22 décembre 2003