Lynda Lemay, Les secrets des oiseaux

Il y a dès la première chanson comme une complicité charnelle entre l’auditeur et l’artiste, si l’auditeur est homme car l’artiste, elle, est femme. « On a parcouru / De tes rêves à mes rêves / Tes doigts à mes seins / De ta bouche à mes lèvres ». Puis une complicité sentimentale aussi, faite de ces troubles de la vie, de ces espoirs nourris, des vécus douloureux, des rencontres inassouvies. Car tel est l’envoûtement immédiat dans la relation avec Linda Lemay, la Québécoise. L’auditrice y trouvera aussi son compte dans l’expression féminine des rapports humains « Et t’es parti l’air malheureux / Le pantalon tout sale / Et au coin de mes yeux / Y avait comme… des étoiles ».

Le dernier album de Linda Lemay « Les secrets des oiseaux » captive par la qualité du verbe soudain fait chair et la palette des sentiments souvent si ordinaires. « Il est hors de question / Qu’on m’épouse, mais je sais / Que j’pourrais pas dire non / Si tu me l’demandais ». N’y a-t-il pas là quelque chose de pathétique dans le refus de la norme et son acceptation amoureuse ? Linda Lemay puise dans le registre de son parcours de femme confrontée au besoin de partager, de communiquer, de se dévoiler « : « si je viens farcir vos oreilles creuses / Avec mes délires de pauvre malheureuse / C’est j’ai pas d’amis / Qui m’laisseraient vivre ma vie » Et son regard est sans concession, d’où la force de ses chansons.

Les thèmes de la relation sont si souvent ressassés, me diras-tu. Mais la parole concise, percutante de l’artiste, alliée à la clarté, à la vivacité de sa voix, font que les mots font mouche à chaque fois. Comment ne pas se sentir imbriqué dans le cri de « Ne t’en va pas » quand l’être aimé est sur le point de faire le dernier pas ? « Reviens chez toi, crie-t-elle, et laisse le ciel te mériter ».

Quinze titres parmi lesquels le « J’aime pas les femmes » résonne comme une chaleureuse provocation. Car là réside aussi le secret de l’oiseau fait femme à la guitare. On ne badine pas avec la vie. « Quand j’entre chez eux / Ça sent la famille / Ça sent le bébé ». Mais pas de concessions car l’accomplissement de l’être n’emprunte pas obligatoirement les sentiers battus des couches-culottes et du « lait caillé ».

De chanson en chanson, Lynda Lemay égrène des instants de vie avec cette fougue intacte qui, portée par une instrumentation savamment dépouillée ou étoffée avec maîtrise, te fait virevolter d’enthousiasme pour chaque image, chaque bon mot et chaque note si bien troussée.

Car si elle sait si bien porter la femme, elle sait encore dévoiler l’homme sous la carapace : « Le vieux garçon / S’la coulait douce / En rabâchant qu’on devrait tous / vivre la vie à sa façon / Persuadé qu’la liberté rendait moins con ».

Un CD comme un patchwork d’expériences intimes où chacun peut paradoxalement se reconnaître vient de s’envoler dans les nuées et te voilà soudain oiseau, mis à nu dans ses secrets. Car si Lynda Lemay parle d’elle, elle parle aussi de nous, mon pote.

Henri Lafitte, Chroniques musicales
18 décembre 2003

Lynda Lemay, Les secrets des oiseaux
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