100 mots à sauver

« Je donnerais bien davantage à un mendiant qui écrirait sur son bout de carton : « Baillez-moi S.V.P. 1 ou 2 euros », écrit Bernard Pivot dans « 100 mots à sauver », édité aux éditions Albin Michel. Certes. Encore faudrait-il que le purotin, le manant, se fendît des douze euros demandés pour s’offrir l’opuscule. Mais il est tant de maux à soigner…

Mais fi de mauvais esprit ! Tu remarqueras, ô lecteur, si tu as des radis à allonger, que plusieurs de ces mots pivotés sont déjà disséminés çà et là dans les cinq années de chroniques mathuriniennes. Diantre ! Cinq ans déjà ! Saperlipopette ! pourrais-tu t’écrier, histoire d’en placer un autre. Dire que j’aurai ainsi pensé à toi moult fois dès potron-minet, voire à la brune, mais plus rarement ! M’arrêter ? Macache ! Je te le dis derechef : que serait mon bol de café sans le plaisir de babiller sur mon clavier matutinal ? J’ai tant besoin de toi pour vider ma cafetière. Billevesées de toqué, me diras-tu ! Pendard ! Ah le mâtin ! Comment s’ébaudir dans la solitude ? Garder pour moi toutes ces carabistouilles glanées dans la presse locale ? Que nenni ! Et un bon brocard salvateur alors ? C’est pas bath ? Il faudrait tout délaisser sans barguigner comme brimborions dans un musée qu’on ne visiterait plus ? Ne crois-tu pas qu’un faquin soit parfois nécessaire pour dénicher jusque dans le déduit le moindre fesse-mathieu mafflu pétri de momerie prêt à se farcir la première nénette en se comportant comme le dernier des rastaquouères ? Et la protection de la femme alors ? Pauvres péronnelles, pauvres jouvencelles, qui méritent tant que l’on s’opiniâtre pour protéger leur nitescence du ruffian qui sommeille souvent chez le mirliflore, le gommeux, jetant sa première gourme, tout grand flandrin, tout gandin qu’il soit ! Scrogneugneu ! J’en ai la venette rien que d’y penser. Car ici, point de radeuse, mon gars. Ni de lupanar ! Mais une terre de cagoterie, de suivez-moi-jeune-homme hommasses dans leurs plus beaux atours chaque dimanche à la messe. Faut se rappeler l’émoi provoqué il y a quelques années par le seul fait qu’on ait pu en imaginer un à l’Île aux Chiens dans un feuilleton bancroche ! Comment ? Sur cet îlot au cimetière plus marin que celui des autres, si délicatement entretenu, il y aurait eu place pour quelque priapée, un asile à génitoires derrière un huis secret, un enfer du vit, une chambrée de peccamineuses gourgandines à loilpé sous le caraco ? Foin de goguenardise ! Peut-on imaginer réduire à quia la moindre velléité de rectification historique ? Allez grimauds ! Vétilles, dites-vous ? Et notre honneur alors ? Il ne serait que l’apanage du Cid ? (là, je te laisse souffler, histoire de ne pas perdre le septentrion)

Ne soyons pas béjaune ; je te le concède, on devait bien faire ribote en ce temps-là, avec ou sans le morceau de gras de l’étalier, sur la terre de nos aïeux, sur nos îles pétries de givre aux portes du Canada. Il faudrait être jocrisse pour s’imaginer un sanctuaire sous la houlette d’un robin bardé d’argousins châtiant le moindre tire-laine, chassant le gueux, le chemineau, hors les fortifs, surtout que de fortifs, il n’y en avait guère. Non, je te le dis. Nos îles n’étaient pas terre de capons ; le pékin y côtoyait le tranche-montagne et pétunait sans autre forme de procès. Et par les soirs de liesse, il arrivait même qu’on en débagoulât.

Les temps ont changé. Comment ne pas ployer aujourd’hui sous le faix de notre insularité sans regarder voler les coquecigrues ? La solution appartient-elle au premier clampin venu ? Pense à nos élus. A nous la moindre badauderie, à eux la turlutaine des faux espoirs entretenus ; à nous les humeurs valétudinaires, à eux, que cela nous seye ou non, les doux plaisirs de la gent trotte-menu. Les grands desseins ne doivent pas se dessiner sous la plume du premier torche-cul venu. Sinon à quoi serviraient-ils, ces détenteurs de la sapience ? Laissons le peuple potiner, se disent-ils sans aucun doute, car le doute n’est pas ce qui les étouffe. Les chaussées défoncées font de nos tires flambant neuves de vraies pataches ? Ils nous en bouchent un coin, en attendant d’en boucher un autre. Nos soubresauts des mécontents ? Une nasarde, au regard de leur carrière. En avant les promesses melliflues ! Elles n’engagent que la naïveté d’icelle ou d’icelui qui les gobe. Fi des flambards qui voudraient leur donner la leçon et des jean-foutre qui au fond ne les ont jamais dérangés ! Ah ! Les pauvrets ! Ah ! Les pauvresses ! que nous sommes. Un peu de fla-fla, un zeste de cautèle à la télé et les tours (le premier et le deuxième) sont joués.

Subséquemment, sur ces îles en quête de nouvelles certitudes, il restera bien un poète pour quelque goualante. A moins qu’il ne se soit esbigné…

 C’est-y pas possible ?
(Là c’est toi qui le dis)

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
28 mars 2004

Bernard Pivot, 100 mots à sauver
Albin Michel – mars 2004