“Walk on”, avec Ray Brown

Alors (je dis « alors » car avant je faisais autre chose), je suis allé à la découverte de Ray Brown, contrebassiste américain, mort en 2002. T’aurais pas pu faire ça de son vivant ? me demanderas-tu. Et j’acquiescerai en disant seulement qu’on ne maîtrise pas tout de son vivant. Je peux te l’assurer, moi qui vis encore.

C’est parti d’une découverte au hasard d’une lecture de voyage, article paru dans un magazine, Jazz Hot, pour le nommer. Car « pour ne pas le nommer » m’a toujours paru une formulation suspecte. Le numéro de février 2004, pour être précis. Il est des mots qui font « tilt » ; et Ray Brown, dans son originalité de contrebassiste, m’a attiré. D’où l’achat du double CD, de chez Telarc, paru en 2003, « Walk on ». Et je te le dis, un ravissement. Or, tu sais que je suis avare de compliments, tout en étant contre les critiques gratuites, je te le mentionnes en passant.

« If you want to learn about Ray Brown the man, listen to his music », lit-on dans la pochette. Que si tu ne comprends pas, je peux te donner des adresses pour un bon séjour d’immersion linguistique en Nouvelle-Ecosse. Tu vois, je ne suis pas francophile pour filer à l’anglaise devant la difficulté.

Alors si tu n’est pas emballé par la ligne mélodique tracée par la contrebasse dans « Stella by starlight », c’est qu’il te faut chercher la lueur des étoiles en plein jour, auquel cas j’avoue mon désarroi pour répondre à ta quête. Et la joie, le bouillonnement de l’artiste dans « You are my sunshine », que si tu n’entends pas une contrebasse en faisant tes mamours, c’est qu’il te faut rechercher un autre instrument.

Bon, Ray n’est pas tout seul, Jef (je t’appelle Jef). Sans piano, sans batterie, les ailes du géant l’empêcheraient de marcher. On n’est jamais si bien tout seul que lorsqu’on est accompagné. Car vois-tu, la contrebasse est ici l’instrument qu’on accompagne. Eh oui ! Cela peut arriver. N’a-t-on jamais vu une compagne plus présente que celui qu’elle accompagne ? Réfléchis… (J’ai mis les … à dessein)

« Hello girls » as-tu envie de susurrer après avoir écouté le dernier morceau du premier CD.

Car il y en a deux. « F.S.R », titre du premier morceau du deuxième volet. Et ça sonne mieux qu’U.M.P », moi je te dis. J’aurais pu dire U.D.F., ceci ajouté. Mais doucement les basses. Ça swingue avec le piano de Benny Green, à te demander d’ailleurs comment les doigts du pianiste ne débordent pas du clavier. Et la contrebasse qui reprend son solo. Bow, bo, dow, dow… baw dam, ba dam, dam dam bing…bam !… » et je t’en passe. Et la batterie de Gregory Hutchinson ! Car dans un trio de ce genre, la grosse caisse et la caisse claire sont nécessaires pour faire rayonner les cymbales. Sur le premier CD Geoffrey Keezer est au piano, Karriem Riggins à la batterie. Je te le dis, au cas où tu les connaîtrais. Car je m’en suis voulu de les avoir ignorés. « Evidence », diras-tu encore, comme dans le troisième titre avec John Clayton et Christian Mc Bride à la basse. Mais ceux-là je les connaissais. Je te dis ça, parce que ça me rassure. Surtout après avoir été déstabilisé à ce point dans ce double album que – si tu ne t’en es pas aperçu – je te recommande. Ah ! J’allais oublier, il y a encore Lewis Nash dans « Woogie Boogie ». Où avais-je la tête ?

Car ça foisonne dans le monde du jazz. Une vie qu’il te faut pour débroussailler les aventures. Alors je ne te dis pas quand tu t’y prends un peu tard. Aussi bien s’allonger le long du fleuve, « down by the riverside ».

Avec le sourire en plus. « That’s all » (titre du 8è morceau du premier CD) Et je ne t’ai rien dit de l’ambiance exaltante créée par l’extraordinaire complicité musicale dans le dialogue de de deux contrebasses dans « In the mellow tone ». De quoi rire et applaudir, assurément. Et, cerise sur le gâteau, trois contrebasses qui se déchaînent dans « much in common », comme si cela était évident. Après tout, trois ou quatre, « three in four », plus rien ne t’étonne, mais tout te subjugue.

Henri Lafitte, Chroniques musicales
6 mars 2004-03-06
Ray Brown, « Walk on », Telarc 2CD-83515 – Parution : 2003