Une veillée avec Borgnefesse

Il est vrai qu’on peut se demander pourquoi les Américains ont bombardé Saint-Malo un jour de l’an 1944, année qui avait perdu, comme ses prédécesseurs, convenons-en, son qualitificatif d’ère chrétienne. Mais aurait-on retrouvé dans les décombres fumants d’une maison les mémoires consignés dans trois cahiers pas tout à fait consumés de Louis-Adhémar-Timothée Le Golif, dit Borgnefesse, capitaine de la flibuste ?

Nous voici à l’Escale, au Centre culturel un soir de 18 mai 2004, dans le cadre de la première édition du Festival de la Mer. Sur scène, une table, un litron de rouge et trois compères venus de France métropolitaine nous narrer cette fabuleuse histoire, alternant lecture et chansons de mer, au son de l’accordéon de la contrebasse, principalement. Récit, humour, belles voix de conteurs bien à l’aise dans cette atmosphère de veillée où le contact avec la salle est immédiat. Hal Collomb, chanteur qui aura fait partie de la Chiffonie – dont je me souviens d’avoir trouvé le 33 T chez Monique du temps où elle se lançait dans la vente de disques en lieu et place de la pharmacie Hutton ; Dominique Bouchery à l’accordéon et Bruno Martins à la contrebasse, tous deux du groupe « Entre deux caisses » dont je te dis en passant que faute de temps je ne me serais pas permis de ne pas me procurer leur CD « Faute de grives ». Trois personnalités différentes mais tellement complémentaires, complices dans le récit et les chansons ponctuant l’épopée d’un héros de la mer, un de ces gens ordinaires de naissance mais qui, n’en déplaise aux galonnés officiels, n’en aura pas moins marqué brillamment notre Histoire maritime (je me permets même un grand H).

Il faisait chaud dans la salle. Tiens, on se serait cru quelque part dans les Caraïbes. Quel plaisir de s’être laissé emporter dans l’univers de la flibuste du premier départ vers l’Île de la Tortue, d’avoir partagé agapes et combats avant de nous en retourner vers la terre d’un repos bien mérité ! Car là s’achevait soudain les mémoires de Borgnefesse, déjà.

Henri Lafitte, Chroniques musicales
19 mai 2004