Chronique du 19 janvier 2005

Alors que les grèves se sont enclenchées en métropole dans les secteurs publics et bien que les thèmes recoupent les préoccupations des fonctionnaires à Saint-Pierre et Miquelon, l’atonie était de mise, voire même l’apathie. Seuls les syndicats enseignants SNALC, FSU – SE-UNSA de l’enseignement public avaient finalement décidé de suivre le mouvement national, comme ils l’ont annoncé lors du Vingt heures de RFO, le mardi 18 janvier. « Il n’y a que les moutons qui sont tondus », de déclarer leur porte-parole mardi soir. Appel largement entendu donc le 20 janvier mais qui n’aura pas dépassé le cadre de la profession. Et le représentant FSU de déplorer le manque de réaction du reste de la fonction publique qui représente la moitié des salariés de l’Archipel, passivité qui selon lui peut être lourde de conséquences dans les mois à venir. Tout se passe donc comme si la fatalité l’emportait. Que pèsent en effet nos îles dans ce vaste débat, perçu peut-être comme plombé d’avance au niveau national, ce qui expliquerait en partie l’absence de mobilisation ?

« La « sinistrose » à la française inquiète les politiques » de titrer Le Monde dans son édition du 19 janvier 2005. Et de préciser : « C’est une note de quelques lignes, extraite d’un rapport de synthèse des préfets, en date de décembre 2004. On peut y lire : « Les Français ne croient plus en rien. C’est même pour cela que la situation est relativement calme, car ils estiment que ce n’est même plus la peine de faire part de son point de vue ou de tenter de se faire entendre. » »

Tiens donc, on croirait une analyse de la situation dans l’Archipel. Et nous qui nous croyons si souvent spécifiques ? Ne rejoignons-nous pas tout simplement le lot ordinaire ? Ne serions-nous pas tout bonnement… français ?

Car si la globalisation vient perturber le sentiment franchouillard traditionnel – le Français se sentant partie prenante d’un destin européen -, comment concevoir une dimension qui ne serait qu’insulaire et qui échapperait au sentiment d’appartenance à un ensemble beaucoup plus vaste, français, bien sûr, européen aussi, le tout dans une vision beaucoup plus planétaire ?

« Les syndicats ont appelé à des grèves dans les services publics cette semaine, mais les Français paraissent plus prêts à une « grève par procuration », lit-on encore dans le quotidien national. Peut-être cela aura-t-il été le cas en définitive sur l’Archipel en ce 20 janvier 2005.

Et Le Monde de souligner encore : « Les études d’opinion européenne traduisent un pessimisme collectif très fort doublé paradoxalement d’une relative confiance individuelle. On croit en soi sans plus croire dans ses dirigeants politiques, économiques et syndicaux. »

Ce repli sur la débrouillardise individuelle n’est-il pas caractéristique lui aussi de notre société archipellienne où force est de constater l’évanescence de l’action syndicale ? Quand les ressorts collectifs ne fonctionnent plus, il faut bien « chenaler », coûte que coûte, se diront beaucoup. Mais jusqu’à quand, pourra se demander un partisan de l’action collective ?

« Les Français sont en train d’aborder leur nouvelle condition historique qui est la globalisation. Cela restructure leurs identités individuelles et collectives et travaille la façon dont les individus se représentent leurs enjeux, y compris nationaux », analyse le directeur de l’Observatoire Interrégional du Politique (occasion de mentionner un observatoire de plus, tout aussi inconnu que beaucoup d’autres).

Remplaçons « Français » par « Saint-Pierrais et Miquelonnais » et nationaux par « insulaires » : « « Les Saint-Pierrais et Miquelonnais sont en train d’aborder leur nouvelle condition historique qui est la globalisation. Cela restructure leurs identités individuelles et collectives et travaille la façon dont les individus se représentent leurs enjeux, y compris insulaires ». Pardon pour le pastiche. Mais est-il postiche ? Les Français n’attendent-ils pas trop souvent qu’on leur botte les fesses pour se sentir à cul ?

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
21 janvier 2005