La dernière nuit de Socrate… Du grand art !

Subjugués par le texte, le jeu des acteurs, la mise en scène ; le coq vient de chanter et nous voilà tous groggys, abasourdis ! Avons-nous bu nous aussi la ciguë ?

Elle était courte « la dernière nuit de Socrate » ; des heures d’échanges entre deux hommes pris dans le maelström ultime de la vie. Et la pièce qui s’achève sur le regard interrogatif d’une femme qui cherche à comprendre en nous passant le flambeau.

Mise en scène et interprétation magistrale que celle de la troupe de Rénata Scant, avec Jean-Pierre Scant’Amburlo et Pierre Simon Chautemps ! Dès la première seconde tes repères de spectateur sont balayés. Es-tu à Athènes ? En France ? A Saint-Pierre et Miquelon ? Hier ? Aujourd’hui ? Partout à la fois dans des allers et retours en accéléré. Force du Verbe et du jeu des acteurs qui te donnent envie de redécouvrir la pensée de Socrate, mais aussi l’écriture du dramaturge bulgare, Stefan Tsanev. Car la magie est venue de la rencontre entre tous ces personnages dont tu fais partie puisque tu t’es déplacé, grâce à l’heureuse initiative prise par le Carrefour Culturel Saint-Pierrais de proposer cette pièce si brillamment interprétée sur nos rochers figés de froidure hivernale.

Regard sur la vie, retour sur le parcours de l’être humain, sur la recherche des valeurs fondamentales ; humour décapant aussi qui vient bousculer ton apathie ! Car la vivacité de cette « comédie philosophico-humoristique » te fait prendre conscience du réveil nécessaire. Comment ne pas penser soudain au jeu des politiques et des puissants, au talon d’Achille de la démocratie, à l’illusion de la liberté, au détournement technocratique, au pouvoir usurpé ? La scène se passe à Athènes, certes ; mais n’est-elle pas d’actualité sur un Archipel enfanté par l’aventure des Terre-Neuvas ? De quelle société avons-nous hérité ? Et surtout quelle est celle que nous lèguerons à notre tour ?

Un texte dense qui te coupe le souffle ! La pièce aura été jouée dans une quinzaine de pays européens ? N’aurait-elle pas gagné en plénitude dans notre microcosme archipellien ?

Car « la dernière nuit de Socrate » te laisse avec le vif désir de voir un nouveau jour se lever, histoire de relever les défis que le philosophe t’avait chargé de relever sans peut-être que tu t’en rendes compte. La ciguë ? Pas encore ! Il faut bousculer tout ce qui t’étouffe ! Militer pour une insularité plus supportable, plus tolérante ? Bien sûr !

Le public était nombreux. Quel enchantement d’aborder les rives de l’utopie en si grande compagnie ! Cher lecteur, je te laisse ; je dois traquer les manipulations de la parole dans les discours des politiques et ça, je te le dis, il y a de quoi vivre centenaire. Et surtout, comme disait Desproges, « vivons heureux en attendant la mort ! »

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
22 janvier 2005