Chronique du 5 février 2005

« On n’a jamais vu un pays où l’on gagnait plus en travaillant moins » si l’on en croit le représentant du syndicat du BTP sur les ondes de RFO le 3 février 2005. Comment céder aux sirènes d’un « Travaillez moins, vous allez gagner plus » ? de s’étonner le chef d’entreprise. Certes… Mais l’histoire humaine n’est-elle pas la démonstration d’une amélioration sensible de la condition humaine et de l’aisance matérielle accompagnée d’un travail moins long et moins pénible ? Le sort de l’OS en 2005 chez Peugeot-PSA n’est-il pas plus enviable que celui du mineur à l’époque de Zola ? Ou celui de l’employé d’interpêche comparé à celui du terreneuvas du temps de la Morue française ?

Ne faut-il pas se méfier des évidences ; ce qui semble vrai dans l’immédiat l’est-il sur la durée ? L’histoire de l’humanité ne prouve-t-elle pas que l’on aura pu gagner plus en travaillant moins ?

A tel point que certains poussent même la plaisanterie à gagner plus que celui qui travaille en ne travaillant pas du tout.

Sachant pertinemment qu’il faut être fou pour travailler du chapeau, ce qui incite tout un chacun à penser le moins possible.

Sachant en outre :

Que plus on bosse plus on bosse du dos et vice-versa.

Que si l’on travaille plus l’on ne donnera plus de boulot à ceux qui bossent pour qu’on se repose et que si ceux qui bossent pour qu’on se repose ne peuvent plus travailler parce qu’on ne se repose plus ne peuvent plus bosser parce qu’on les oblige à se reposer alors qu’ils voudraient bien bosser, cela donnera trop de boulot à ceux qui bossent pépères en se reposant.

Que Pierre Reverdy – un poète je te dis, mais qui ne riait pas tous les jours – disait : « J’ai tellement besoin de temps pour ne rien faire, qu’il ne m’en reste plus pour travailler ».

Que Pierre Reverdy – eh oui, toujours lui – a encore écrit : « De ma vie, je n’aurai jamais rien su faire de particulièrement remarquable pour la gagner, ni pour la perdre », ce qui me permet de te dire en passant qu’on peut la perdre – la vie – en la gagnant.

Qu’André Breton en a rajouté une couche : « Rien ne sert d’être vivant, s’il faut qu’on travaille ». Surréaliste, non ?

Que Jean Anouilh n’y est pas allé de main morte en écrivant : « Faire l’amour avec une femme qui ne vous plaît pas, c’est aussi triste que de travailler ».

Qu’on peut faire l’amour avec des femmes qu’on aime à condition d’en avoir le temps.

Que si on passe son temps à travailler, elles finiront par rejoindre ceux qui glandent.

Que n’avoir rien à glander risque de provoquer l’indifférence.

Que l’indifférence travaille toujours celui qui en est victime, ce qui n’est jamais agréable.

Que si j’avais encore travaillé à l’heure où je t’écris, tu n’aurais pas pu me lire même si tu avais eu le temps de le faire à l’issue d’une journée de travail puisque je n’aurais pas eu le temps d’écrire, ce qui t’aurait privé du plaisir que tu t’accordes puisque le progrès social t’en a donné le temps.

Que ça ne t’a peut-être pas empêché de t’en jeter une derrière la cravate – c’est fou ce qu’il y a de gens cravatés tellement la cravate attire pour moins bosser ce qui ne t’empêche pas de vivre – que tu n’as pris le temps de desserrer, à condition d’avoir pointé au boulot pour te l’offrir.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
4 février 2005