Chronique du 30 mars 2005

La morue encore sur la table – parce qu’elle risque de ne plus y être un jour précisément. « Au large de Terre-Neuve, la morue n’est toujours pas revenue » de titrer Le Figaro dans un article du 29 mars 2005.

Et le quotidien français de préciser que « le Canada organise une conférence internationale sur le sujet à Saint-John’s (Terre-Neuve et Labrador) du 1er au 5 mai prochain ». Soixante-dix nations devraient y participer. Dont la France ?

Car par-delà les mesures de protection dans les zones où elles peuvent être juridiquement appliquées, l’inconscience humaine ne déploie-t-elle pas encore ses filets ? « Une dizaine d’espèces, dont les morues (…) sont d’autant plus menacées qu’elles sont capturées en haute mer où aucun régime juridique ne permet d’encadrer leur exploitation. Difficile d’expliquer aux poissons qu’il y a des frontières ». « Plus une espèce se raréfie, plus elle génère un braconnage lucratif la menant inexorablement à l’extinction », rappelle Hubert Reeves dans son ouvrage « Chroniques du ciel et de la vie ». Le braconnage peut être le fait de nations.

Les nouveaux débats n’auront-ils pas comme orientation la recherche d’une extension de la juridiction en cours dans les 200 milles, accompagnée d’une poursuite de la pêche au-delà, d’une manière certes réglementée, sous la coupe, qui sait, de notre puissant voisin, étape toutefois transitoire vers le constat de nouveaux déclins ? La dynamique enclenchée n’est-elle pas en fait irréversible si une véritable prise de conscience internationale n’aboutit pas à une véritable remise en cause de la folie humaine, en dépassant des données strictement économiques qui commandent en fait les prises de décisions ?

La morue connaîtra-t-elle alors le sort des pingouins de l’hémisphère nord ? « En 1834, le dernier couple fut capturé, tué et venu à prix d’or en Islande. Il ne reste que de rares spécimens naturalisés dans les musées », rappelle encore Hubert Reeves d’une voix forcément dérangeante.

Le dernier plat de morue sera-t-il un plat de riches attablés pour la dernière déglutition ? Faut-il naturaliser dare-dare quelques spécimens de gadidés pour nos propres musées ? L’espèce humaine n’est-elle pas en train de préparer sa propre naturalisation sans se rendre compte qu’elle ne pourra plus jeter un regard sur son propre passé ?

Interrogations choc, exagérées peut-être. Quoi qu’il en soit, force est de constater que les débats prendront inexorablement une tout autre tournure que ceux qui ont alimenté nos querelles pour des quotas dans un passé pourtant si proche et déjà si lointain.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
30 mars 2005