Une soirée ivre d’Histoire

Il est des soirs d’enthousiasme qui vous font du bien à l’âme parce que notre Histoire est là, pleine de vie, de vigueur, portée par la fougue du théâtre. Quel régal quand la mise en scène sort de l’ordinaire et que le public se trouve associé à une belle réussite !

Le thème tout d’abord, celui d’un âge d’or pour des îles transformées soudain en Eldorado, au lendemain de la signature aux États-Unis du Volstead Act. La « Prohibition » a-t-on appelé cette période d’interdit pour les uns, de liberté pour les autres devenus les transitaires sous de multiples formes – du docker au gentleman bootlegger – de milliers de caisses d’alcool.

La mise en forme de ces « Années fioles » ensuite, dans une mise en scène et arrangements musicaux d’Anne Brisset sur un choix de textes de Danièle Girardin, avec une troupe talentueuse multi générationnelle, porteuse de textes, de chansons, d’humour, à l’aise dès le premier soir. Car le talent aura consisté à faire se côtoyer des évocations historiques propres à faire revivre le contexte, mais aussi la vie au quotidien sur l’Archipel en ces années fastes, les décisions collectives et les vécus individuels, dans une fresque vivante faisant le pendant à la mémoire figée dans un tableau de Jean-Claude Girardin, les « Années flasques », réalisé pour l’occasion, très présent dans le décor, au troisième acte.

Et puis la grande originalité du déplacement du public en trois lieux différents avec un autobus scolaire venu le chercher dans la fraîcheur d’une soirée enveloppée de brume. Clin d’œil pour évoquer le passé quand le « trafic » s’accommodait des nuits bien noires. Qui peut se souvenir du courant que l’on coupait à minuit car « Thélot allait dormir » ? Premier acte à la bibliothèque municipale, le second à l’hôtel Robert avec sa patronne, Mireille Andrieux, partie prenante elle aussi de la troupe enjouée. Et, cerise sur le gâteau, un entrepôt de l’époque pour se retrouver dans l’atmosphère des grands transbordements mais aussi – car le glas aura retenti soudain – pour revivre la décision américaine de mettre fin à l’interdiction de l’alcool et la grande dépression économique qui en aura résulté à Saint-Pierre et Miquelon.

De retour dans l’autobus pour retrouver qui sa voiture qui le point de renouvellement du quotidien, chacun savait qu’il venait de vivre un grand moment de retrouvailles. La nuit était bel et bien tombée. Mais quelle différence quand les images du souvenir sont belles !

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
21 mai 2005