Jacques Bertin en escale à Saint-Pierre

La vie n’est-elle pas dans ces mots qui définissent notre quotidien, dans le vécu, le ressenti, les besoins ordinaires ? Puis soudain, parce que tu as répondu à l’invitation au voyage, tu te trouves plongé dans la magie de la rencontre avec un porteur d’écriture dans une « boîte à chansons », comme il en existe heureusement encore. Nous sommes à Saint-Pierre, salle de l’Escale, jeudi 17 novembre 2005 ; il est 21h20.

Sur la scène, un homme seul, avec sa guitare à cordes de nylon, une voix se déroule, dense, fine, nuancée, ample, profonde et forte à la fois, elle revigore des mots qui portent le quotidien, le vécu, les angoisses, la fragilité, le temporaire, dans une construction d’images qui t’envoûtent dans la pénombre de l’écoute.

Tu abordes les rives intérieures de l’artiste. Lui, c’est Jacques Bertin, venu pour une deuxième fois en dix-huit ans à Saint-Pierre et Miquelon, dans une production conjointe cette fois des Oiseaux de Passage à Québec, de l’association A Mare Labor et du Centre Culturel. Compositions, mais aussi interprétations – Léo Ferré, Antoine Pol, Aristide Bruant, René-Guy Cadou, Gilles Vigneault entre autres – font partie du programme de la soirée.

Chacun est saisi par la dimension de l’artiste, conscient d’avoir là, à portée de plaisir, un ciseleur du rêve qui transcende les déchirures de l’âme. Jacques Bertin marque des pauses, vérifie sur son feuillet le choix de la soirée, glane des morceaux de choix, situe la chanson qui s’annonce, ses mains naviguant sur la guitare pour t’emporter, toi qui es convié au partage, vers des horizons sublimés.

C’est tout simplement beau, envoûtant.

Jacques Bertin puise dans ses chansons la force de mener son destin d’être humain en se moquant des risques et des conformismes, des assurances ou des certitudes, en nous offrant un retour à l’essence même de la communication poétique, nourrie de mélodies. L’homme s’accomplit, assume, entre dans la résistance face aux conventions, aux schémas, au confort embourgeoisé. Ses textes, sa voix, son écriture te subjuguent.

Soirée exceptionnelle au détour de quelques feuillets extraits de toute une œuvre. Jacques Bertin se lève ; plus de vingt chansons se sont égrenées ; le public reste encore assis, le temps de savourer les ultimes vibrations du rêve ; l’homme s’incline, remercie. Et nous sommes là, heureux, comme si le temps savait parfois, par respect pour les grands poètes, suspendre son vol.

Henri Lafitte, Chroniques musicales
18 novembre 2005