Lavilliers, Escale au Grand Rex

T’aurai-je au fil du temps insulaire donné envie d’autres escales ?

Que je me rattrape alors, en m’appuyant sur un artiste. 75000 kilomètres en un mois, avion escale, avion, autre port, autre ville, autres rues, favelas, miséreux, oubliés, gens de cœur, cœurs d’amour, détresses, dignité, sincérité. Et pour trait d’union, la musique, partout.

Belle aventure que celle de suivre par la magie du DVD celle de Bernard Lavilliers. Puis, dans la foulée, ou avant, suivant l’ordre de ton choix puisque deux DVD figurent dans le coffret, le spectacle au Grand Rex, à Paris, les 11 et 12 mars 2005.

D’entrée, il se situe ; ce n’est pas lui qui a fait les voyages mais les voyages qui l’ont fait. Parcours inépuisé dans l’humanité multiple, forte des accents d’Amérique du Sud et des Caraïbes, son immense terroir de prédilection. Thèmes et musique enlacés, emportés par les rythmes, avec des musiciens qui font corps avec ses textes. Belle réussite, superbe osmose. Un enregistrement public de grande qualité sur le plan du son.

Alors que novembre nous étreint, quel bienfait dès le deuxième morceau d’évoquer un été chaloupé ! Puis l’émotion, très vite, quand Cesaria Evora le rejoint. Douceur de la voix féminine, épopée d’un peuple, harmonie dans la rencontre. Tu es déjà emporté dans le flux des chansons qui t’empoignent. Destin d’un grand qui aura payé lourdement sa quête de liberté, Che Guevara. Parcours humains, voyages au cœur des fourmilières, rythmes cadencés encore, encore et toujours. Samba, samba, samba. Pas de lassitude ! Un immense bien-être.

Cet enregistrement est une réussite, il t’entraîne vers le grand large. Impossible de résister. Bernard Lavilliers a le mot qui te touche, qui t’invite à crier, à chanter, mais à danser aussi, pour partager « destins et voyages d’un chanteur de passage ». Peu importe si Big Brother nous regarde. La volonté de témoigner, de combattre les coups du sort, les injustices, tout en portant la beauté engrangée au fil des rencontres est là, dans toute sa force, sur la scène.

Place au reggae pour « Pigalle la blanche », puis « Question de peau », chantée avec Tiken Jah Fakoly. N’entends-tu pas alors l’écho des grandes incompréhensions, des exclusions insupportables dans les banlieues d’aujourd’hui ? « Etat des lieux » terrible de vérité, superbe évocation de « la peur », écrite en 1979, cascade de textes qui te prennent aux tripes pour un immense désir d’humanité retrouvée. Puissance des évocations, de l’état des lieux d’un monde bouleversé, hymne à la vie et la joie du « Bal » tropical » et le public enthousiaste, debout, débridé. « Douleur, folie, amour », l’artiste est là, il rassemble.

Alors, captivé, émerveillé, toi aussi dans cette « escale du Grand Rex », tu te laisses gagner par la volonté de réagir, de bousculer les frilosités, les barrières dans la joie musicale qui se moque des différences, avec un grand, sur la scène, Bernard Lavilliers, pour te donner le tempo.

Henri Lafitte, Chroniques musicales
13 novembre 2005

Bernard Lavilliers, Escale au Grand Rex – DVD – octobre 2005
(spectacle du 11-12 mars 2005)

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