Le roman de l’an 6 – 3è feuille

Et l’on apprit un jour la nouvelle que d’aucuns subodoraient : il était interdit désormais de circuler à voiture, à cheval, en voiture avec plus de 0,5 g/l d’alcool dans le sang ! Fermés les bars, au chômedu les vendeurs de spiritueux, aux adjas les agapes ! Tout le monde à la flotte municipale ! C’était pour le moins inéluctable. Les Saint-Pierrais seraient désormais des Saints pierreux ; pour les Miquelonnais on verrait à quel saint se vouer. Les rabat-joie devant l’Eternel voyaient quant à eux leurs vœux sanctifiés.

L’Archipel se réveilla avec la gueule de bois.

L’on vit fleurir dans les jours qui suivirent, signe d’un printemps ressenti pour la première fois comme étant trop précoce, la flore gendarmière à chaque carrefour des interdits, dans la pure mise en œuvre du populisme droitier qui enflammait la France.

 Tout est en place, monsieur le Mestre ès Bourg ; pas un n’échappera à notre vigilance. Plus personne n’aura de la bouteille, je vous l’assure !

 Fort bien ! J’aurais pu lever mon verre à notre succès s’il nous eût été permis de boire.

 Ne suffit-il pas désormais de presser les fruits que nous allons récolter ?

 Hum ! Je vous trouve d’une humeur bien pétillante…

Pendant ce temps, quelques récalcitrants sonnés se demandaient s’ils pouvaient envisager de jouer au bouchon. Oui, mais où ? Car le dernier bistrot avait fermé ses portes sous le poids des amendes distribuées à tire-larigot à tout contrevenant pris à déambuler devant le seuil de porte des lieux soupçonnés de tous les maux.

Il fallut se rendre à l’évidence : le temps des fêtes était aussi révolu que le laisser-aller dans la rue de la soif de la ville de Rennes autrefois connue, elle aussi, pour être un haut lieu de la vie insouciante.

Qu’ils étaient lointains le Café du Nord, le Café français, l’Escale, l’Etoile, le Select, le Bellevue, le Stella-Maris, le Joinville, le Biarritz ! Et chaque mémoire au minimum quarantenaire de se retremper dans les limbes du paradis perdu.

 Que ferons-nous lors des cocktails ? avait toutefois soulevé un impudent. La question resta en suspens.

 Prends ça et bois de l’eau, aurait pu lui rétorquer un observateur neutre.

Pendant ce temps l’on poursuivit la construction de casemates pour mettre les tenants du Nouvel Ordre à l’abri des regards indiscrets. Le littoral poursuivit sa longue marche le long des miradors new look. Mais cela permit de faire vivoter le BTP car, l’adage ne le dit-il pas avec trop d’assistance ? quand le bâtiment va, tout va !

Certes la plupart avaient perdu la pêche. Les coups de filets, quant à eux, avaient changé de nature.

Fallait-il pour autant écouter l’olifant des tenants du « Brasse à cul ! » ? Souviens-toi de Vichy ! de rappeler un ancien combattant.

A suivre…

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
19 janvier 2006