Un autre Brel, tellement fort !

La salle de théâtre du Centre culturel est comble en ce mercredi 15 mars 2006 ; la lumière est tamisée ; chacun retient son souffle ; on se dit que quelque chose devrait se passer, attente portée par la curiosité, l’envie de découvrir la réécriture d’un nom, Brel ! doté d’un autre prénom, Bruno, et l’écho, obsédant sans doute, de Jacques.

Bruno Brel au CCS

Soudain, tout est bousculé, un grand escogriffe barbu coiffé d’un chapeau savoyard a salué l’équipage et la magie a déjà opéré son œuvre. Une voix, quelle voix ! Une présence ! Texte de Jacques en ouverture, revisité, revigoré, sans mimétisme, dans une aventure qui se perpétue, tellement naturelle. Et les textes de l’auteur, Bruno, tout aussi beaux, tout aussi forts. « L’oiseau blessé » : « L’oiseau blessé tombé du nid / Et qui saigne de son aile / N’y touchez pas, je vous en prie / Il est fragile comme la dentelle… » Le spectacle, superbe, « mi-Bruno, mi-Brel », nourri de trente années de fulgurances, s’est enclenché ; il s’enchaîne alors et te fait perdre toute notion du temps. Place à la beauté ! Bruno Brel aurait dû être accompagné de Martial Dancourt à l’accordéon, mais son compagnon de scène n’a pas pu être là. Pour assurer le lien, quelques chansons du grand Jacques sont portées par une bande son préparée pour l’occasion. Bruno est libre alors de ses mouvements, il occupe l’espace, et son expressivité te captive. Puis, moment sublime, un texte qui te saisit, sans musique, pour redécouvrir « Ces gens-là ».

Pour ses propres compositions, Bruno Brel a opté pour la guitare, le pied sur une chaise. Superbes textes sur des airs que l’on sait ne plus pouvoir oublier. « Le vent des dunes », « Cherbourg », touche d’humour avec « Le chef de gare » et « Tu étais toute nue », chanson écrite pour bousculer le rapport à l’écriture pour qui voudrait ne voir dans la démarche d’un artiste que des divagations d’intellectuel, puis une évocation plus intime, qui te subjugue, dans le rappel de la mère, la sienne mais qui s’universalise car tu la reconnais » « La seule femme que j’aimais / A maintenant les cheveux blancs / Elle est plus belle que jamais / Et je suis toujours son enfant ».

Dix-huit chansons. Le public est ravi. Nous en sommes déjà au moment fatidique où il faudra se quitter. Dernier texte, pour un adieu, un au-revoir, paroles magnifiques, chargées d’humanité, « Chanter », tout le sens de la vie, pour refuser la bêtise, la souffrance, les déchirures, la haine et espérer encore et toujours, « le temps des cerises »…

Derniers instants. Dans la salle ne bruit plus soudain que l’écho… du bonheur.

Henri Lafitte, Chroniques musicales
16 mars 2006

La photo de la semaine par Patrick Boez