Pierre Perret, Mélangez-vous…

Il y a dans la vie tout ce qui te ratiboise l’espérance ; puis le chant des artistes qui te refait circuler la sève d’un rêve qui peut à nouveau arborer ses bourgeons.

Pierre Perret, à soixante-dix balais, te redonne l’envie de vivre, de chanter, de bousculer… « Mélangez-vous », qu’il dit d’entrée à la femme « pleine de grâce » – une prière ? -, dans son dernier album. Une réussite, je te le dis tout de go, in petto et sans ambages. « Mélangez-vous, mélangez-vous / Un jour les homm’s sauront / Mêm’ plus sur qui taper ». Puis deuxième chanson, aux allures anodines de « La p’tite infirmière ». Tu parles ! Un regard décapant sur la situation désastreuse au sein des hôpitaux ! Pour un peu on se croirait à Saint-Pierre, tu sais, dans cet hosto que même une ministre de l’Outre-Mer laissait entendre qu’il était urgent de le fermer du fait de sa vétusté. Bah ! Elle s’occupe de coopération maintenant ; ça ira mieux chez les pauvres. « Y a mêm’ dans un hamac / L’ministre d’la santé / Qui a un ‘ belle cris’ cardiaque / C’est bien fait pour ses pieds ». Sur l’île on a bien eu à connaître les aléas de santé de certains de nos dirigeants récents mais ça n’a pas suffi. Puis il y a l’oubli face à la détresse des malades. Insupportable, pour l’infirmière qui voudrait tant aider.

« T’as pas la couleur », autre chanson ; ça c’est pour les artistes qui n’entrent pas dans le créneau de la futilité radiodiffusée des play-lists. Tiens ! Même dans nos stations ultra-marines les discothèques disparaissent ; les ordinateurs font tellement de belles choses, dit-on ! : « Georges cher Georges / Aujourd’hui ta Margot / Malgré sa jolie gorge / Risquerait l’embargo ». Quatrième perle déjà. Bonne dose d’humour et de fesse dans « Le séant déchaîné ». Délices de la langue dans toutes ses acceptions dans l’acceptation mille fois renouvelée. Puis « Malika » ! Superbe évocation de celles qui vendent leurs charmes pour échapper à ce qui les emprisonne dans la détresse dans leur pays d’Afrique. Belle mise en forme musicale évocatrice du lien entre terre d’accueil et d’origine dans la continuité de la détresse humaine. Thème revisité dans une autre réalité, dans « La bonne à tout faire » et coup de pied décapant aux nantis, aux puissants indécents : « Des ministres inconsolables / A qui elles faisaient des prix / Dirent que trente ans de cajoles… Leur valaient bien le mérite agricole / En plus d’la légion d’honneur »

C’est qu’il n’est pas fatigué le Pierre. Chaque chanson a un impact imparable. Pour un peu nos îles auraient pu se retrouver dans « La philatélie » : « Qu’est-ce qu’elle aime / La fille à Mélie / C’est la philatélie ». A se dire au passage que si tout le monde aimait les timbres, nous serions affranchis, je te le dis. Pierre Perret me met en tête de ces idées… Mais « le bonheur c’est toujours pour demain », comme le dit l’artiste dans sa huitième composition. Place alors au rythme débridé de la suivante, à la « femme libérée », au libertinage et à la langue en goguette. Salut les mecs ! « Les machos font plus la loi on l’saurait » Oui, oui, on s’tripote la peau, le popotin dans les chansons qui se succèdent, mais quelle Vérité ! En fait celle que frileusement on n’ose s’avouer. « De nos jours me dit mon pot’ Nénesse / On a plus hont’ on fait c’ qu’on veut / d’ses fesses ». Adieu « le tabou du sexe ». C’est vrai, tout est chamboulé : « Un homme et un’ femme / Ça n’ se fait guèr’ plus / Mais essayez vous verrez / C’est pas mal; non plus » C’est chouette les contrepoints. L’important c’est d’s’aimer, bordel ! Mais tout ça n’est pas si simple comme le relève la chanson, la onzième. Surtout que pour les grands principes de la vie, les évidences ne sont pas au rendez-vous non plus : « Liberté zéro Egalité zéro / Fraternité zéro et dignité double zéro » !

Disque abouti pour une vie riche en écriture portée par une extraordinaire sensibilité doublée d’une terrible acuité dans la perception du dessous des cartes et des travers humains. Mais la musique est aussi là pour que l’espoir s’y ressource. : « Y aura toujours une hirondelle / Pour dessiner du bout de son aile / Ces quatre fleurs de la vérité ».

Pierre Perret est une de ces hirondelles, avec cette différence qu’il fait le printemps.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
17 mai 2006

Pierre Perret, « Mélangez-vous ». 2006