Claire Tréan, “Le paradoxe iranien”

Difficile de se repérer dans les points de fixation des maux de la planète, notamment de comprendre le Moyen-Orient pour qui veut échapper au sentimentalisme inhérent aux perceptions télévisuelles nourries d’immédiat. Ne sommes-nous pas formatés au son du danger que représente l’Iran, sans savoir au fond pourquoi ? L’Iran est sur le point d’acquérir l’arme nucléaire, son président a tous les atours du diable, il faut tout craindre, bonnes gens.

N’est-il pas bon alors de prendre le temps de se documenter afin de saisir un univers dont on n’a pas les clefs ? L’ouvrage de Claire Tréan, « La paradoxe iranien », paru chez Robert Laffont, peut être un excellent outil. Premier point, cet ouvrage est le fruit d’une enquête sur le terrain menée en 2005 ; second point, il n’est pas construit comme un essai économico-politique à haute volonté dé monstrative mais comme un témoignage sur ce qu’est l’Iran dans sa réalité d’aujourd’hui, dans l’articulation temporelle avec la venue au pouvoir d’Ahmadinejad. Pourquoi un tel porte-parole des idées les plus conservatrices a-t-il élu alors que le pays s’inscrivait dans un assouplissement des attitudes, au point d’en laisser baba les analystes les plus talentueux ?

L’intérêt de ce livre est dans sa construction qui nous permet de découvrir les réalités du quotidien, au fil des rencontres qu’a pu effectuer l’auteur, de sentir l’âme du peuple dans sa diversité, ses aspirations et ses déceptions, ses espoirs et ses rancoeurs. Le dernier tiers de l’ouvrage permet alors de plonger dans la complexité de la réalité politique en interaction avec les voisins, Israël, bien sûr, mais aussi l’Irak et les autres pays arabes. Car l’erreur réside souvent dans la perception binaire qui nous est trop souvent assénée. La lecture d’un tel ouvrage permet de mieux mesurer les tenants et les aboutissants d’une partie du monde en proie à des déchirements qui ont des effets à l’échelle de la planète, notamment dans ce qu’il est convenu d’appeler encore aujourd’hui l’Occident.

L’opinion en Iran est plus diversifiée qu’on ne l’imagine, mais elle se cristallise dans le refus de toute forme d’ingérence de l’extérieur, notamment dans le domaine du nucléaire. Le pays y voit le vrai moyen de se faire respecter, à l’instar du Pakistan, de la Corée du Nord ou… d’Israël. « La rhétorique de la discrimination, de la victimisation de l’Iran, a fonctionné à merveille à propos du nucléaire et le régime, par ailleurs si décrié, est parvenu sur ce sujet à se faire reconnaître comme le bon serviteur de l’indépendance nationale. » (p. 231)

Le livre se clôt sur cette inconnue de la question nucléaire. « L’accès à l’Iran à l’arme nucléaire sonnerait le glas pour le système international de lutte contre la prolifération. Plusieurs pays de la région – la Turquie, l’Arabie saoudite, l’Egypte notamment – ne peuvent envisager que la république islamique conquière l’arme suprême sans être tentés de suivre. » (p. 267) De quoi faire froid dans le dos, évidemment. Mais, à l’échelle de la planète, le glas n’a-t-il pas sonné ? Car cet ouvrage met en exergue, sur un cas donné, la marche de l’aventure humaine vers l’inéluctable, Malheureusement, la sagesse l’emporte trop rarement.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
6 août 2006

Claire Tréan, Le paradoxe iranien
Robert Laffont, mai 2006
ISBN 2-221-10506-0