Chronique du 2 décembre 2007

Pourquoi ne me vérifies-tu plus dans mes écritures quotidiennes, ô lecteur suspendu ? Parce que j’ai voulu faire « le détour nécessaire à la recherche des enseignements reçus des cultures de l’« ailleurs »», pour reprendre les termes d’un sociologue, Georges Balandier, qui m’aura servi de guide, avec son dernier ouvrage, daté de 2006, « Le Pouvoir sur scènes ». Comment échapper aux influences médiatiques, au déferlement quotidien qui pouvaient, sans que je m’en aperçusse, avoir la maîtrise de mon écriture ? Le hasard aura bien fait les choses puisque c’est en regardant une émission télévisée que j’ai rencontré Georges Balandier. Fichtre ! me suis-je dit. Voilà un type qui semble aborder depuis plusieurs décennies des questions qui me préoccupent et je ne le connaissais pas ! Erreur réparée depuis, d’où mon absence.

Sans doute auras-tu noté que dès le premier jour Nicolas Sarkozy aura suscité ma défiance. Pourquoi ? Je voulais mieux comprendre. Y suis-je arrivé ? La quête de sens continue. Oui, ce Nicolas Sarkozy représente une approche que je juge néfaste au pays qui se retrouvera demain dans une détresse encore plus grande que celle qui aura prévalu à la mise en orbite d’un ego exacerbé.

Le sauveur suprême aura connu une nouvelle incarnation, dans un contexte de crise du politique, pour lequel François Mitterrand et Jacques Chirac portent une lourde responsabilité – bien que j’accorde au premier des avancées essentielles, dont la suppression de la peine de mort -, dans un ressenti encore plus vif du désordre venant bouleverser les repères traditionnels, le tout dans un monde ébranlé, en proie à l’irruption de l’imprévisible, dont la destruction des Twin Towers est une fixation à haute valeur symbolique. Je me souviens d’ailleurs de ce jour, alors que je devais accompagner un des miens à l’aéroport pour qu’il regagne la France. Angoisse de l’incertitude, partagée par tous ceux qui se trouvaient comme moi à l’aéroport « Pointe Blanche », soulagé enfin d’apprendre que les vols étaient annulés. Nous ne savions pas encore, mais nous étions entrés dans une ère nouvelle.

Nicolas Sarkozy aura élu sur la vague de slogans alléchants, enjôleurs, captivants. Une majorité non négligeable l’aura porté au pouvoir, captive de son propre état. Parallèlement, en écoutant mes concitoyens, au détour d’une conversation, dans une interview radio dans le cadre des émissions d’animation, je suis frappé par le regard nostalgique sur le passé, comme si tout était mieux hier et qu’aujourd’hui l’on se sente majoritairement frustré de quelque chose à définir. Or n’est-on pas victime de l’accélération qui nous laisse sans repères suffisants ? Ne sommes-nous pas portés par la notion de perte ? Perte du pouvoir d’achat comme si une période de référence idéale avait existé, perte d’autorité, perte des soirées festives, perte de la compréhension entre les êtres… La liste nécrologique, pour reprendre un terme de Georges Balandier, est longue.

Mais ce serait oublier que la vie est un inachèvement permanent et que nous nous inscrivons obligatoirement dans un mouvement qu’il s’agit d’essayer de comprendre, au mieux, pour rester libre. Or l’action politique est plus que jamais nécessaire pour donner du sens à notre marche, y compris sur nos îles. J’ai donc hissé la grand-voile pour l’océan des découvertes et t’en parlerai à l’occasion. Je te laisse en te disant que la gonflette des mots d’un Nicolas pétri de solutions, clef en main, me confirme dans l’espoir d’une redynamisation des valeurs politiques centrées sur l’être humain, dans la complexité de son cheminement dans un monde déconstruit. J’y vois là une grande valeur de gauche, à explorer. Ne sommes-nous pas devant une « alternative : ou consentir à être « administré » en abandonnant cette charge au détenteur de la puissance dominante, ou vouloir construire son devenir en commençant à gouverner le cours d’une histoire différente, mais non pas terminée » (Balandier) ?

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
2 décembre 2007

Georges Balandier, Le pouvoir sur scènes, Fayard, 2006, ISBN : 2-213-62718-5