Agnés Bihl, Demandez le programme

Je te prends au dépourvu. Mais non, il ne s’agit pas d’un programme politique ; on ne pas passer son temps en rase campagne ! D’ailleurs, « C’est en forgeant qu’on devient chômeur / Quand on est un cadre jetable / 55 ans sur le compteur ». Tu vois bien qu’Agnès Bihl te chante les roses, l’amour et le bien-être. Du moins si le temps des cerises pouvait se concevoir. « Demandez le programme », c’est le titre de son album, que je te conseille, évidemment, tant les paroles sont celles d’une femme qui n’a pas peur aux dents et qui t’enlève les couches superflues de vernis au coeur par une mise en boîte décapante.

Agnés Bihl, je l’ai découverte par hasard, attiré par sa moue espiègle sur la première de couverture de son CD qui te dit : c’est par ici que ça se passe. « L’itinéraire d’un fils de pute / C’est toujours quand le plus fort gagne / Et quand l’art d’aimer c’est d’l’art brute / Y’a pas mort d’homme… juste de femme… » Le ton est donné..

« SOS bonheur ». Faut bien, dès la deuxième chanson. « Ça compte jamais pour du beurre / Les p’tits bobos les p’tits bonheurs ». C’est ce qu’une femme peut dire à son enfant. Nous, les hommes, on a du mal à être aussi convaincant. Agnès Bihl enchaîne dans « La complainte de la mère parfaite ». Un petit bijou ! Mais va-t-elle enfin dormir ? Elle, c’est la p’tite puce, le p’tit ange… ! Ça valait bien une petite orchestration. Sur le plan musical, c’est que du bon, pour porter des paroles peu banales. Impossible d’être insensible à « Jamais + Jamais », lamento de la femme délaissée. Pendant féminin à l’amant de l’Echarpe de Maurice Fanon, « du temps où l’on se disait vous » ? Les paroles du livret sont alors en blanc sur fond noir. Oui, le CD vaut aussi le détour par la qualité graphique de sa présentation. J’ai un faible pour ce que ne permet pas la « mp3 réduction ». Feuilleter un ravissant livret tout en goûtant chant, paroles, musique… Le pied ! « I’m a poor lonesome callgirl ». Pas moi bien sûr, mais ce personnage croqué avec swing dans la chanson suivante. Jeu sur les mots, humour, quelle que soit la langue : « I was pure and not bégueule / You are fouting of my gueule ».

Allez, je te le dis tout de suite ; il y a quatorze titres tous aussi bien ficelés les uns que les autres. Dynamisme, mots précis qui font mouche, et vivacité mélodique, rien ne manque. C’est son premier disque, qu’on m’a dit. Mazette ! Les paroles sont de l’artiste, les musiques parfois avec la collaboration d’autres musiciens.

Regard de femme, jusque dans le souvenir de petite fille, « Dans la rue », à l’âge de « 7 ou 8 ans ». Une chanson au tour fort bien troussé pour les temps d’apprentissage et d’illusions: « Je pouvais pas savoir, on me l’avait pas dit / Qu’un jour, la vie viendrait ramasser les copies… » Agnès Bihl excelle à traduire ces différents repères qui peuvent jalonner tout parcours de femme. « Attention fragile » en est une autre illustration. Nous sommes alors à mi-CD et le ravissement demeure à se nourrir de la suite.

Agnès Bihl n’hésite pas à aborder – avec quel brio ! – des thèmes difficiles, comme celui de l’inceste. Texte douloureux que celui de « Touche pas à mon corps » ; moment de grande intensité portée par le piano. Que de facettes de l’aventure humaine, vue par une femme ! Ainsi en va-t-il de « L’ex dc ma vie », dans la tension d’une voix jeune et chaleureuse, mûre pourtant car exprimant une forte personnalité, riche de lucidité, jusque dans les recoins lourds à porter de l’existence, comme lorsqu’on se retrouve dans un fauteuil d’hôpital. L’école, c’est pas toujours drôle, non plus. « Mais où est donc ornicar ». Te souviens-tu, ô lecteur francisé – on ne pousse pas son premier cri avec Bescherelle, tout de même ! – de ce moyen mnémotechnique qui t’encourageait à la faute… d’orthographe (je te dis ça en passant, digression de chroniqueur).

J’ai goûté les trouvailles d’écriture tout au long de l’album. « Faut s’méfier du salaud qui dort / Et du dépressif incompris / De l’homme à femmes, de l’omnivore / En un mot de l’homme de sa vie » (À nous les garçons)

Belle construction aux évocations variées pour peindre la vie au féminin, dans la relation aux autres, sans tomber dans les clichés faciles. Là est aussi la réussite. On en est à la treizième que l’écriture, loin de s’essouffler, a encore gagné en amplitude.

Et puis, alors qu’on vient de légiférer contre l’anorexie, pourquoi ne pas plutôt mesurer les effets de « 0% », la dernière chanson de l’album ? « Après tout souvent Femme varie / Du 36 au 42 ». L’humour ici, au moins, fait loi.

Henri Lafitte, Chroniques musicales
29 avril 2008

Agnès Bihl, Demandez le programme, L’autre Distribution, 2008

Site d’Agnès Bihl