Francis Cabrel, Des Roses et des Orties

Tiens, c’est curieux, j’ai écouté le dernier CD de Cabrel et j’ai entendu du… Cabrel. Dans un premier temps, je me sus demandé si cela me satisfaisait, au point qu’on désirerait peut-être qu’un artiste fort de nombreuses tournées réinvente la roue. Structure mélodique ou rythmique, l’on entre sur un terrain de connaissance, voix légèrement frémissante du sud, accords de guitare, amorce de quelques accords, pour gagner assez vite en intensité… Ainsi en va-t-il dès le premier morceau, « La Robe et l’Echelle ». Syllabes saccadées pour dire la rencontre en ouverture, teintée de nostalgie. « À la vitesse où le temps passe Rien n’efface l’essentiel… » Côté roses, donc. Mais dès la seconde chanson on entre de plain-pied dans un regard sans concession sur les turpitudes humaines : « Qu’un homme dorme sur le bitume ça n’a pas l’air d’inquiéter les cardinaux en costume… »

Sans doute donc qu’à la deuxième écoute je me suis laissé faire, agréablement, entre réminiscences des accents de l’artiste et propos nourris de maturité. Je fais partie de ceux qui auront accroché il y a un certain temps à « Saïd et Mohamed ».

Bon si tu ne te reconnais pas dans la tonalité générale de la troisième chanson, ou l’ouverture du « Cygne blanc » qui suit, c’est qu’il est temps que tu te mettes à jour dans ton exploration de l’artiste. La Country nous colle aux esgourdes. Mais tiens-toi prêt pour, dans la foulée, « Des hommes pareils », qu’il fait bon d’écouter en ces temps de discordes renouvelées, toujours en vertu des différences assenées par les religions ou les idéologies qui nous séparent des autres. Petit précis de philosophie, autrement dit, mis en musique en cinq minutes d’expression condensée.

Intéressant de noter que la chanson qui aura donné le titre à l’album figure au centre comme un pivot entre les roses et les orties. Méditation avec l’aventure, sur fond de piano, dans la chanson qui précède, accents de Nouvelle-Orléans dans celle qui lui succède. Bien sûr, ce titre accroche immédiatement tout celui qui aura pu frissonner aux accents de… Creedence Clearwater Revival. Le respect et la qualité du rendu sont au rendez-vous. Bravo.

Prêt pour un retour à la gravité dans African Tour, n’en déplaise aux sarkozies qui jalonnent la dureté du destin des oubliés de la terre. Chanson forte, portée dans l’intimité de sa formulation. Une des plus réussies du CD sans doute.

Retour immédiat à la légèreté dans « Madame n’aime pas ». Grille classique d’un tempo country again, Yeah ! Les sensations fortes sont dans l’alternance. Vient d’ailleurs une des chansons clefs de l’album avec « Des gens formidables » dans laquelle Francis Cabrel campe le parcours d’un saltimbanque à la guitare pétri par son besoin d’écriture et de témoignage.

Sans doute était-il bon d’aborder alors une plage de rêve sur la toile d’un peintre avide d’évocations. Belle chanson que « L’ombre au tableau ». qui n’en est pas une sur la tonalité générale de l’album. Après la féminité apaisante de La Robe et l’Échelle en ouverture, fermons ce doux moment d’écoute avec « Elle m’appartient, c’est une artiste. »

Qu’ai-je mieux goûté ? Les roses ou les orties ? « Qu’est-ce que t’en dis ? » Mais c’était sur un autre album.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
3 avril 2008

Francis Cabrel, Des roses et des orties, Sony, 2008