Pagny chante Brel

Il est des thèmes et des personnages qui transcendent les hommes, portés par des chansons qui survivent à leur voix d’origine, prêts à revivre encore, avec d’autres voix, différentes, mais belles et convaincantes. Il en est ainsi des textes de Jacques Brel dans l’opus de Florent Pagny, « Pagny chante Brel ». J’avais peur pourtant, d’où mon attente, ma mise en latence.

Et puis je me suis laissé faire un jour d’avril. Place à « La Chanson de Jacky », de Jacquot, de Jacques… Non, je ne regrette pas, car j’ai été convaincu de l’impossible. J’ai oublié – pour la bonne cause – le Grand Jacques, le revisitant toutefois, dans un mélange insoupçonné, voire ineffable. « Je t’aime encore tu sais… » comme dans « La chanson des vieux amants ». Oui, cette voix humble mais assurée de Florent Pagny est au service d’une écriture prête à faire vibrer encore, sans la théâtralité du concepteur. Peut-être est-ce dû à mon attache prioritaire avec Georges Brassens qui me laisse aller à plus d’indulgence pour d’autres auteurs. Mais non, me dis-je, pour aimer aussi Brassens repris par des artistes convaincants.

L’orchestration est adéquate, belle, soutenue, bien dosée, habillant agréablement une voix qui captive. Florent Pagny réussit le tour de force de donner la chance aux textes, artiste accompli pourtant, mais respectueux de son défi. Confort du « dernier repas » avec les cordes en soutien, sur une chaîne haute fidélité. Le mixage est de qualité. Ah ! Ce dernier coup de cloche sur la dernière peur !

Onze titres de reconnaissance, onze moments de délice, dont je te parle dans le désordre, grappillant les onze choix heureux de l’interprète. Un JB, ça se savoure, ça vous tourne la tête. « Faut dire… » Me voilà intrigué par cette « Fanette » que j’imagine sur un archipel aux couleurs de dunes : « Faut dire qu’elle était brune / Tant la dune était blonde… ». Peut-être ai-je moins accroché à « Mathilde » , ficelée Daran, qui la précède. Serais-je fermé désormais aux sons trop rock ? Où sont mes années Black Sabbath, diable ? Plus loin, il y aura Vesoul, accordéon aidant, pour me réconforter. Fichtre ! Ces séquelles du musette… ! Et ce Jacques qui en avait horreur, du moins comme il le fait dire à celui qui gémit dans la chanson.

« Au suivant », au préalable, pour une de mes centaines de chansons préférées. Je le jure sur la tête de ma première vérole, enfin façon de parler, en déclamant du Brel. L’intensité est au rendez-vous.

Tiens, tu ne le saurais pas, si je ne te le disais pas, mais j’ai marqué une pause avant d’achever écoute et écriture, histoire d’aller boire une bière dans un bistro à la santé des… Bourgeois. Faut dire que par les temps qui courent on voudrait nous faire si facilement oublier mai 68… Vive les évocations décapantes ! Car « chez ces gens-là… », en fermeture d’un album réussi, que je le réécouterai. Mais oui, mon bon monsieur… Même que je me le redirai.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
4 avril 2008

Forent Pagny, « Pagny chante Brel » – Mercury – Novembre 2007