Bizarre que des artistes vivent leurs vies parallèles sans que tu aies pris vraiment le temps de les écouter. Leurs noms te disent quelque chose pourtant, mais tu ne pourrais en dire plus. D’autant qu’en l’occurrence, Yves Simon m’est familier, auteur de chroniques dans Chorus, le trimestriel de la chanson.
Accents folks d’entrée, sur les premières notes de guitare, voix tendre, présente au plus près, pour un dialogue intimiste entre l’auteur et le découvreur de nouvelles perles mélodiques. « J’ai peur des balafres sur le cœur… Des Albertine de roman… » Ne sommes-nous pas tous à la recherche du temps que l’on aura risqué de perdre ? Œufs shakers discrets en soutenue de guitare et le charme s’opère.
Comment résister aux « oursons blancs nos bras » ? « Un jour, c’est sûr, on oubliera / Qu’y avait des neiges éternelles / Des hivers longs, des hirondelles ». Peut-on aimer en oubliant la vie ? Le texte est concis, la musique est belle ; l’ensemble fait résonner les fibres. L’homme s’empêtre dans ses déchirements, « la terre meurt et on s’en fout », comme chante Aznavour dans son album « Colore ma vie ».
Le CD est nourri d’œuvres tendres, sans oublier la désynchronisation possible dans les rapports entre homme et femme. « Irène, Irène, t’es toujours à la traîne… » Je me dis que cette chanson pourrait s’intégrer à un répertoire de balloche top notch. Toutes les danseuses de s’appeler alors Irène. La désynchronisation nous guette toujours lorsque l’on guinche.
Allez, place à un dialogue translinguistique homme / femme, dans la répétition des phrases en anglais et espagnol : « J’écoute la rumeur de ton cœur / Escucho el rumor de tu corazon ». Mais le monde est toujours là, instable, perturbant : « J’écoute la rumeur des cités / Escucho el rumor de las barriadas ». Impossible, quel que soit le cocon, d’oublier l’extérieur. Il n’empêche, la passion fait partie de l’inattendu, donc du possible : « Un jour on dit que tout se fige / Qu’la passion n’est plus un vertige / (…) Mais moi je sais que les vertiges/ Sont les seuls dieux à aimer… » Dois-je t’avouer que par-delà les débats pro-anti-Sarkozy, j’ai été intrigué par le fait qu’on puisse douter que Carla Bruni fût prise… de vertige.
Non, l’album, à aucun moment, ne sombre dans les bluettes ternes. Ecoute « La métisse » dont la « mémoire est envahie de bateaux / remplis d’Africains… » La sensibilité n’entrave pas le regard ; là réside le charme de cet album. Vient une chanson qui m’aura accroché, « Aux fenêtres de ma vie », troublante de force et pourtant si concise, dans une structure mélodique simplissime qui se pose en fin de ligne sur un Si mineur. Mais les chansons ne sont-elles pas là pour qu’on se les murmure, chantonne, frissonne, fredonne, entonne, pour le plaisir, pour le bonheur, par-dessous tout quand d’aventure l’on grisonne ? Françoise Hardy est venue apporter sa douce vocalise. Envoûtement garanti.
Comment être indifférent aux « embruns de la jeunesse » ? Ne coulent-ils pas « des visages comme une ivresse » ? Cela méritait bien ce tempo assuré par la batterie, autour de la guitare et de l’accordéon.
J’oubliais de te le signaler, mais treize chansons t’attendent, si tu veux bien croire cette rumeur. Autre moment de finesse et sensibilité dans « Marguerite », hommage tout en délicatesse à Marguerite Yourcenar. J’aurai aimé ce lien avec d’autres écritures. Ne sommes-nous pas porteurs de passage aux sensibilités multiples ?
Bon, je ne m’appesantis pas sur « Les filles ont des sentiments »… Mais oui, mais oui…J’ai déjà entendu Isabelle Alonso, le rappeler. Alors, je suis d’accord, vu qu’Isabelle Alonso, elle détone dans le bla-bla trop flagorneur des plateaux télévisés. Lutte et sentiment, que diable !
Qui chante d’ailleurs dans la suivante ? Un homme – oui, c’est Yves Simon – mais encore ? « Jamais je n’aurai cet enfant qui pleure / Un enfant qui rit auprès du moi / Pourtant je l’invente dans des rêves ». Cela méritait bien quelques cordes. « Sanglots longs des… »
Défi d’une vie où l’aventure se construit avec l’autre « sur les traces de Jack London… Je t’emmènerai… » Et quoi de plus désarmant que cette dernière évocation de femme qui s’appelle… « Patrice » ? Surtout qu’elle… « dit des mots fragiles / Qui semblent sortir d’une île… »
Et si de ces « rumeurs », il te prend l’envie qu’elles bruissent à tes feuilles ?
Henri Lafitte, Chroniques insulaires
7 avril 2008
Yves Simon, Rumeurs, Barclay, 2007