Renan Luce, Repenti

Je prends ma plume claviérisée pour en parler ; de la plume, il y en a dans cet album, ça je te le dis, jusque sur la guitare que tient l’artiste, assis sur sn tabouret, sur la belle pochette gris argenté qui attire l’oeil. Renan Luce qu’il se nomme. Poum, clac, poum clac, poum clac, c’est parti avec un rythme et un thème qui t’emballent : « J’ai toujours préféré aux voisins les voisines ». Chanson d’homme, bien sûr. Puis dès la deuxième, une évocation qui sort de l’ordinaire, celle du « repenti », qui donne son titre à l’ensemble. Une chanson grave, au demeurant et qui, dans sa thématique, sort de l’ordinaire. La musique permet des audaces. Je pourrais m’arrêter là car je suis conquis. Mais c’est qu’il est doué, le bougre ! Alors, je t’en cause encore.

C’est le dernier numéro de Chorus, celui du printemps 2008, qui m’a donné envie de découvrir Renan Luce, grâce au dialogue qu’il entretient avec un autre artiste qui m’a aussi accroché, Alexis HK. J’ai apprécié la simplicité de l’échange ; j’ai voulu en savoir plus. Qu’est-ce qui guide nos choix ? Il y a tant et tant à découvrir. Ah ! J’oubliais, la première édition date de… 2006 ; je me dis qu’un jour je finirai bien par découvrir… Beethoven.

Me voilà accroché au « Lacrymal circus », troisième de la série des titres, entre cirque et rêverie et qui sollicite l’imaginaire : « Au Lacrymal circus / On y voit c’qu’on veut y voir ». J’ai aimé l’évocation du lion : « Un vieux lion à bout de forces / A cligné trois fois des yeux / Il me disait, je crois, en morse / « J’peux pas sauter, j’ai peur du feu ». Le trait est précis, tellement juste. Et puis il est des chansons qui touchent encore plus, qui vous titille au plus profond ; « Je suis une feuille » en fait désormais partie, sur un rythme de balade à te métronomer le cœur, sur le balancement initial d’un accord de DO. Perle du destin des convergences… Dans l’interview de Chorus, Renan Luce parle de ces chansons que l’on écoute en boucle ; celle-ci en fera partie dans mes balades circulaires.

Je t’ai parlé d’Agnés Bihl dans une chronique précédente. Voici la relation à l’autre vue cette fois par un homme fringant de jeunesse et d’ouverture, dans « La Lettre » au rythme virevoltant. « Et moi je suis un homme… »

Treize titres auxquels s’ajoutent trois bonus Live, enregistrés le 22 mai 2007 à la Cigale à Paris, sur l’album que je me suis procuré. Bonne idée que d’avoir deux versions de « Monsieur Marcel », fossoyeur de son état, lien avec un grand de l’écriture que Renan Luce évoque dans ses influences, le grand Georges, bien sûr. Thème revisité avec brio, dans un regard sans concession sur des travers trop humains, avec cette veuve de général qui râle et qui envoie le fossoyeur au chômage. Ma lecture s’éloigne d’un texte lui-même décalé de l’ordinaire. Il te reste à l’écouter, toi aussi.

Les thèmes sont éclectiques ; original que celui de « 24h01 » : « Une minute pour se faire la bellle / Avoir la lune sous mes semelles »… L’album oscillle entre imaginaire et observation, comme la vendeuse de briomborions qu’il baptise « Camelote ». Réalisme et surréalisme qui s’entremêlent avec talent.

Et puis il y a aussi prétexte à méditer dans le sillage d’une chanson : « Mes racines grandissent / Une rencontre et puis dix / Un regard et puis cent… » Ainsi en va-t-il d’une cheminement humain. Un style se dégage, riche de nuances, dans l’agencement d’images et de mots qui échappe à la facilité, sans pour antant sombrer dans l’hermétisme. Il y faut parfois une lente imprégnation. Musicalement, tout est perlé, soigné, guitares, basse, batterie, percus, bien dosés.

Content d’avoir déniché un texte pour agrémenter la réécriture d’une « Nuit blanche ». Belle surprise pour qui « cherche regard neuf sur les choses / cherche iris qui n’a pas vu la rose » sur un ton adouci de confidence…

Henri Lafitte, Chroniques musicales
1er mai 2008

Renan Luce, Repenti, Nouvelle Édition, Barclay, 2007