Chronique du 19 octobre 2008

« Il dév’loppe ! » Ainsi s’écriait-on dans les années soixante à propos de quelqu’un qui savait courir vite. Ou encore de satisfaction vengeresse quand l’adversaire vaincu déguerpissait. T’as vu comme il a développé ? nourrissait les récits au coin du bar, du temps où l’on sortait encore ou dans les rues pleines d’enfants quand les voitures n’avaient pas tout phagocyté.

Développer… Obsession des tenants du pouvoir d’un moment pour justifier leur action. Aussi s’entoure-t-on d’agences – de développement – dans la répartition de ce qui tarde toujours à venir, quelles que soient les volontés affichées. Plusieurs s’y sont attelées ; le constat est là. Plus on en aura parlé et… plus l’on aura développé vers l’inaccessible.

Qu’avons-nous développé depuis la crise de la pêche des années quatre-vingt, désormais entrée dans l’Histoire qui prend le relais progressif de ceux qui en furent les acteurs ? L’équilibre fragile de cette fin de la première décennie du nouveau siècle repose sur la circulation du capital induit par la fonction publique et les travaux tout aussi publics. Tout le reste n’est que greffon sur ce double champ d’activité. Aussi remettre en cause l’indexation des retraites – en embrayant Vertu en avant sur des abus mis en exergue pour en mettre plein les mirettes à qui ne sait pas ouvrir les yeux, comme le fait le pouvoir sarkozyste -, est-il une folie dont on mesurera à terme les effets gravement pernicieux. Réorienter les sommes ainsi économisées ? Dans la poche de quels monopoles ? Pour quel développement factice ? Alors qu’il faudrait assurer ce qui marche pour peut-être – qui sait, ébaucher un nouveau menu sur un plateau continental ? – , les deux démarches étant complémentaires et non contradictoires.

« Those dancing days are gone » chantait Carla Bruni du temps de sa vie d’artiste. Marins et travailleurs de la mer, il y a trente ans, faisaient vivre l’Archipel jusqu’aux tréfonds de ses nuits chaloupées. Aujourd’hui l’on rame sur le plancher des vaches.

Il arrive qu’un secrétaire d’Etat s’y prenne les pieds. Ce fut le cas dans un rendez-vous manqué à la Salle des fêtes avec le champagne et les petits fours pour la traditionnelle mise en scène des ronds de jambes convenus. Les enseignants s’étaient fortement mobilisés devant l’entrée dans une ambiance festive, pour montrer le danger de la remise en cause du système de retraites outre-mer pour le fonctionnement même de l’économie insulaire. L’arrogance aura pris le dessus dans le refus du dialogue et le mépris affiché sous sa petite mèche bien mise. Tant pis pour sa pomme. Alors que les manifestants l’attendaient fort pacifiquement, formant une haie dans le silence total de la nuit tombée, devant la station RFO, le secrétaire d’État Jégo aura choisi de filer en catimini par la sortie de service, développant piteusement vers un véhicule qui l’attendait tous feux éteints.

Piètre attitude. Une première dans l’histoire des visites ministérielles sur l’Archipel. Manifestation de dépit d’un triste sire, donnant une image désastreuse de la République.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
19 octobre 2008