Chronique du 10 mai 2009 (2)

Cela te surprendra peut-être, ô lecteur, mais j’étais scotché hier devant ma (tu remarques le possessif) de télévision, pour suivre le match de football Rennes / Guimgamp. Un événement, bien sûr ; je veux parler du match, naturellement. Car, sans que tu le saches, il m’arrive quand même de m’exercer la vue d’astigmate incorrigible sur ces déplacements intempestifs d’un ballon, de pied en pied, de pied en tête, de tête à tête, petit objet tout rond que si tu le suis, il t’en met plein la vue, tellement il est petit , tu ne le quittes pas des yeux, il est partout, dans ton champ oculaire, au-dessus, en-dessous, sur les côtés, à gauche, à droite, parti, revenu ; tu es surpris de ne pas voir d’élastiques au bout des pieds de ceux qui en jouent comme tu faisais (en moins bien) avec ta balle de jokari quand tu étais jeune.

Au bout d’un moment, ça peut être lassant. C’est pour ça qu’il y en a beaucoup qui vont dans les stades. Parce que tu vois peut-être moins bien, t’as pas les commentaires en doublette des journalistes, mais tu as l’ambiance, le niveau sonore, l’amplitude de l’effervescence, la folie des couleurs, comme si tu te trouvais dans un immense tableau impressionniste, en trois dimensions, d’atomes colorés en phase de fission. 80 000 qu’on nous a dit ; 300 000 qui voulaient s’y trouver. Fichtre !

Alors j’ai regardé, parce que ça se passait au stade de France et que pour cette coupe de France, ne restaient plus en lice que deux équipes bretonnes. Du coup, ça m’a fait penser à Bretagne à Bercy, le rassemblement musical que tu peux toujours vivre en DVD, en différent, en tout aussi exaltant.

Et puis Nicolas Sarkozy n’a pas eu le choix. On a même eu le droit à une interview juste avant le match de la part d’un journaliste qui maniait la brosse à reluire. Il était tout content d’avoir quitté son lieu de villégiature, le président, ça se voyait. Enfin, je dis ça pour te faire plaisir si tu as voté pour lui. Et puis il a dodeliné de la tête, c’était touchant.

Tu ne seras pas surpris ; cette fois, j’avais un faible pour Guimgamp. Le petit contre le plus grand. Forcément, c’est un mouvement réflexe, comme pour Saint-Pierre et Miquelon, défendant son bout de gras, face à l’immense voisin canadien. Immense défi sur le plateau.

Et Guimgamp a gagné. Le match virevoltait, ça courait, ça en voulait. Au moins, on savait pourquoi ils étaient là, tous ces joueurs. Pour gagner, de vraies têtes de Bretons, en donnant du spectacle. À voir la tristesse des perdants, je me suis dit que le ciel leur était tombé sur la tête, terrible manifestation de ce qui aura hanté les Gaulois depuis leurs nuits moyenâgeuses. La fête aura été belle, la détermination et l’union d’un groupe aura fait, qu’au final, l’inattendu se sera produit.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
10 mai 2009