Chronique du 23 septembre 2009

« Objets inanimés, avez-vous donc une âme ? » interrogeait le poète. En avons-nous une, nous-mêmes, insulaires convaincus de notre spécificité ? Je te désarçonne peut-être, ô lecteur convaincu des évidences qu’on ne saurait remettre en question sans passer pour un faux frère. Et pourtant… Que met-on dans ce mot pour en donner la consistance dont nous pourrions être fiers, aujourd’hui et demain ?

Sans doute est-elle nourrie par le courage de nos pères et ancêtres. Les cérémonies du souvenir ont toujours entraîné le respect dans leur sillage. Pas besoin d’en rajouter des tonnes pour savoir ce que l’on doit à ceux qui se sont battus contre vents et marées.

Mais aujourd’hui, à Saint-Pierre et Miquelon, alors que nous avons du mal à définir des enjeux collectifs à même de porter les couleurs de la convergence par-delà les rivalités humaines ordinaires ? N’as-tu pas le sentiment que dans tous les sujets qui nous obsèdent depuis plusieurs mois – desserte, pêche, pour n’en citer que deux -, on assiste impuissants à des circonvolutions de cercles dont le périmètre est égal à tout ce qui échappe au péquin de la rue ? Positionnement d’intérêts, de non-dits, jeux d’influences… Voilà de quoi alimenter la réflexion pour ne pas être des marionnettes sans le savoir.

Car la vigueur de l’âme collective passe par le dépassement des ambitions individuelles. Défi terrible, toujours renouvelé comme Sisyphe avec sa pierre sur un flanc de montagne. Depuis quelques mois, j’essaie de comprendre les enjeux qui se dissimulent derrière les rivalités politico-économiques et, je dois te l’avouer, c’est plutôt coton.

Ne doit-on pas par exemple être vigilants pour ne pas sombrer dans le travers facile du « Haro sur le baudet » ? Il suffit parfois d’une rumeur, savamment nourrie, pour qu’on s’y engouffre comme un seul homme. Pourra-t-on, comme sur le sujet de la desserte maritime, faire la part du grain et de l’ivraie ?

Je suis préoccupé, comme toi aussi j’imagine, par ce que sera notre archipel demain, à voir ce qu’il est aujourd’hui, vu ce qu’on a voulu en faire hier. Le cap sur l’avenir n’est pas chose aisée entre mer des Sargasses et tempêtes des Grands Bancs. Je ne voudrais pas qu’on disparaisse comme dans un « triangle des Bermudes » revisité.

« Je suis né outre-mer » et c’est ce qui m’amène à te faire partager mes espoirs, mes égratignures, mes épluchures, les feuilles de la vie, le rire qui me fait plier en quatre, les larmes des blessures et le désir profond que nos successeurs portent longtemps les couleurs d’une fierté honnêtement assumée.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
23 septembre 2009