François Bayrou, Abus de pouvoir

Il y a eu chez moi un moment de trouble fort lors d’un débat télévisé, dans la confrontation d’idées suscitées par les élections européennes de 2009, à cause du dérapage entre François Bayrou et Daniel Cohn Bendit.

La gauche étant paralysée dans la formulation de son projet possible, je me disais que François Bayrou pouvait ouvrir une alternative utile au pays. Et puis toc ! Une estocade déplacée contre son vis-à-vis, une répartie sans bavure du bretteur écologiste et c’était plié. Une baffe au soir des élections et une perte de crédibilité.

Depuis temps, travail et volonté de redresser la barre font leur chemin. François Bayrou est à nouveau… au centre. De la vie politique, susceptible d’être attaqué sur sa gauche, sur sa droite. Car il en veut. Inutile de se voiler la face : il sera candidat aux prochaines présidentielles. Comme si cela ne venait à l’idée de personne à droite, chez tous les englués de l’asservissement à Nicolas Sarkozy.

Bon, précision complémentaire ; la fois dernière, j’ai voté solidarité de gauche. Et cela risque fort d’être à nouveau le cas, quand la décantation aura fait son œuvre. Mais cela n’empêche pas d’essayer de mieux connaître ce que proposent d’autres et parmi ceux qui auront bien précisé leur pensée, François Bayrou dans son livre Abus de pouvoir, que je te recommande. Tu pourras ainsi juger sur pièces.

Pour résumer, j’ai bien aimé le fil conducteur qui se dégage pour révéler le sens d’un engagement, sans échappatoire, ses participations à des gouvernements, son lien avec plusieurs personnalités du centre-droit. Car dans le grand cercle de la politique française, comme tu le sais, il y a deux centres, voire plus, ce qui explique que cela ne tourne pas souvent rond.

Mais peut-on se plaindre d’une surabondance d’analyses ? À moins d’être pour un parti unique, il faudrait être inconscient ou victime du matraquage des féaux de la pensée sarkozyenne pour ne pas accepter la richesse qui découle de la confrontation d’idées. Les raisons de l’antagonisme avec le président actuel ne sont pas esquivées. Et l’on comprend que si elles se nourrissent d’une dimension humaine – peut-il en être autrement ? -, il y a bel et bien des philosophies sous-jacentes diamétralement opposées. Si je me retrouve en partie dans celle de l’auteur d’Abus de pouvoir – la vision humaniste en est un axe fort -, les années écoulées depuis le dernier grand soir m’ont confirmé dans mon opposition à celui qui tient les rênes. Cela ne veut pas dire pour autant que je pourrais adhérer au Modem, dont le mot évoque davantage chez moi les balbutiements de l’ère informatique. Qu’importe. D’autres pages sont encore à écrire avant 2012.

Ainsi pouvons-nous lire dans l’introduction : « L’élection passée, il ne fallut pas attendre une minute pour voir qui avait gagné. Se réunirent au Fouquet’s, haut lieu symbole de la jet-set et du business qui veut en jeter, les vrais vainqueurs. Non pas les pauvres bougres qui chantaient « on a gagné, on a gagné » sur une place de la Concorde où on les laissa mariner entre eux plusieurs plombes, mais les vrais vainqueurs opulents, les triomphateurs de l’ombre, avec qui il convenait de partager le triomphe en ses premiers moments, avant que d’aller sacrifier quelques minutes à la plèbe, et de partir prendre soleil sur le yacht de l’un d’entre eux. »

Quelques années après, de cette foule, combien se sont découverts un jour victime d’un système imité de l’ère Reagan-Thatcher, revisité par Georges W. Bush et repris dans une admiration sans faille par le guidonier actuel ? (c’est qu’il pédale, cet homme)

La crise des crédits hypothécaires (dont le mérite – mérite des crédits hypothécaires, bien sûr, avait été tant vanté par le coureur de fond actuel) est venu tout bousculer, ce qui n’aura pas empêché un président habile – il faut le reconnaître – de revoir son discours sans perdre pour autant le fil de ses idées. Que constate-t-on après tant de réformes exécutées au pas de charge ? Il n’y aura jamais eu autant de gens en-dessous du seuil de pauvreté sous la Vè république. Ni de chômeurs ; ni de travailleurs pauvres. Car la classe moyenne est progressivement pressurée, venant rejoindre le lot des marginalisés. Les écarts de revenus se sont considérablement élargis. Et la hargne des puissants, leur arrogance, leurs certitudes, n’auront jamais été autant assénées, sans vergogne.

La lecture du livre de François Bayrou est l’occasion de faire le point. Ce qui ne dispense personne de poursuivre sa lutte pour l’espoir. Non pas pour quelques-uns, mais pour le peuple qui devrait être prioritaire.

Henri Lafitte, Lectures buissonnières
11 septembre 2009

François Bayrou, Abus de pouvoir, Plon, 2009 – ISBN : 978-2-259-20876-5