Terre en vue pour la Télévision numérique !

Et dire, ô lecteur avide d’images, que j’eus – j’emploie le passé simple car ce sera moins composé -, l’outrecuidance de me gausser, dans mes tendres années, de la « vie en vidéo ». J’ai l’air de quoi aujourd’hui, après tant d’années VHS, DVD, câblées ? Que serai-je demain quand tout sera numérisé ?

Et pourtant, oserai-je te l’avouer, ignorer ce qui fait écran – intermédiaire entre la vie et le rapporté -, est aussi illusoire que d’espérer de l’humanité qu’elle plonge soudain dans la sagesse contemplative des Grecs de l’Antiquité. Mais non, je ne veux pas t’y voir.

Donc, disais-je, la télévision fait partie de ce qui nous fait, nous accompagne, nous modèle, nous emporte, nous émeut, nous instruit, nous distrait ou nous endort. Son champ d’application est vaste. La technique aidant, on se trouve avec une salle de cinéma dans nos recoins intimes.

La technique évolue, notre sens comparatif s’aiguise. Pour qui a pu découvrir lors d’un voyage en France métropolitaine, la TNT (Télévision numérique terrestre), il n’y avait pas photo, mais tout au plus image, nous étions, nous, outre-mer, complètement décalés, à Saint-Pierre et Miquelon y compris. Que dire alors de cette frustration dans le désespoir de nos solitudes trop souvent oubliées ?

Et voilà que soudain un haut représentant du CSA est venu nous mettre du baume au cœur en nous annonçant la mise en œuvre de la TNT sur l’Archipel, conformément à la loi, comme dans les Outre-Mers – mot devenu indispensable dans le langage politique pour exprimer la diversité ultramarine) avec, si possible, un lancement en fanfare au même moment ; une belle idée, soulignons-le pour un instant T de solidarité dans un ensemble français enfin reconnu comme non-hexagonal. Perspective alléchante qui m’aura fait penser à l’analyse de Dominique Wolton, bretteur du CRNS en communication sur les plateaux télévisés – dans sa conviction – que je partage – de l’importance de l’Outre -Mer dans l’ensemble français, développée dans son ouvrage « L’Autre mondialisation » paru en 2003.

Excellente nouvelle en quelque sorte avec un plan en trois phases, les évolutions technologiques permettant de passer en numérique avec des réseaux multiplex de 10 canaux numériques chacun, grâce à l’option de la norme haut de gamme mpeg-4. Bref, dans un premier temps, une première vague de 9 ou 10 chaînes publiques – 10 s’expliquant par l’absence de chaîne locale privée qui aurait pu faire partie de l’ensemble -, RFO incluse et consolidée dans son rôle d’opérateur technique et de proposition de programmes s’insérant encore mieux dans les réalités locales ; une deuxième vague ouvrant la voie de deux chaînes en haute définition notamment, dont Arte et France 2, en perspective ; puis un troisième bouquet, avec la possibilité, pour ceux qui ne seraient pas encore assouvis, de souscrire à des chaînes payantes. Bref, un déploiement ouvrant, en fonction des possibilités techniques – la haute définition prenant un peu plus de place -, entre 25 et 30 chaînes. Une révolution à venir pour nos yeux contemplatifs et nos neurones en fête, avec une première phase prévue au deuxième semestre 2010 !

Une réunion d’information se sera tenue dans la salle de réunion de la mairie de Saint-Pierre sous la houlette de monsieur Alain Méar, du CSA (Conseil Supérieur de l’Audiovisuel), chargé de ce dossier en tant que président du groupe de travail Outre-Mer au sein de la haute institution. Une présentation de grande qualité, qui aura donné les éclairages nécessaires ouvrant ainsi le champ de l’imaginaire, tout en dissipant des craintes. Parmi elles, celle d’un câblo-opérateur qui aurait pu se sentir menacé. Toutefois son représentant aura assuré qu’il voyait là une saine complémentarité, conscient sans doute que l’ensemble des deux grandes offres pouvaient se compléter harmonieusement. Crainte dissipée aussi quant à l’avenir de RFO qui selon son directeur, aura à mener un travail de conversion nécessaire dans l’acquisition d’une identité renouvelée, dans son rôle d’opérateur ; de chaîne offrant des programmes calés sur les us et coutumes de la communauté, par exemple dans le différé nécessaire de certains programmes, apportant ainsi une souplesse que les autres chaînes n’offriraient pas ; dans le déploiement d’une programmation de proximité, de vecteur de la vie locale ; dans une production encore plus étoffée ; dans des partenariats à enrichir avec nos voisins ; le tout avec l’assurance d’une composante humaine sauvegardée, information importante dans le contexte économique fragile qui est le nôtre.

Une crainte sera restée en suspens, au sujet de la norme du signal utilisée – il est trop tôt pour le savoir – afin que nous ne soyons pas prisonniers, encore une fois, d’une norme spécifique, dans un marché alors restreint, donnant lieu à des dérives de prix pour se procurer des téléviseurs adaptés. Le souhait de pouvoir trouver des écrans plats tout aussi facilement qu’en métropole ou au Canada était exprimé. Une question technique certes, mais d’importance, avec l’importance de prendre en compte les effets induits sur le budget des ménages. N’avons-nous pas eu à souffrir jusqu’alors de normes particulières donnant lieu à des surcoûts inéluctables ?

Pour le reste, une bonne nouvelle. Pour les phases 1 et 2, nous aurions l’assurance d’un accès gratuit aux chaînes ainsi mises à disposition du public, le volet 3 dépendant, lui, du choix du consommateur de s’abonner ou pas à des chaînes supplémentaires.

Mais un point essentiel se tissait en filigrane au cours de la présentation : alors que nous étions jusqu’alors, en terme de choix dominant, sous dépendance des chaînes nord-américaines, ce nouveau déploiement permettra bientôt une diffusion de ce qui est un élément constitutif clef de notre identité, dans l’ensemble français et européen. Dans une perception de plus en plus ouverte sur le monde, ainsi pourrons-nous déployer un champ immense de créativité pour porter une identité à même de retenir l’attention de tout visiteur : des Français insulaires européens nord-américains ! Une spécificité à deux versants, que l’on ne trouve pas sur les avenues du conformisme.

Il ne reste plus qu’à souhaiter que nous disposions d’assez de temps pour vivre ensemble en-dehors de nos conforts douillets pour que les télé-véhiculeurs puissent témoigner d’une vie foisonnante.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
1er octobre 2009