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Frédéric Bobin, Singapour

Quelques notes de ukulélé et… c’est parti. Pour une belle écriture, nourrie de grande sensibilité, d’amour de la vie. Surtout quand ça fout la camp. « Y’a mon usine qu’a foutu l’camp à Singapour ». Je te le dis, j’en ai frissonné dès les premiers mots, tant j’ai pensé à toutes ces déchirures qui marquent la vie de par le monde financiarisé où l’homme est oublié. « On a bien essayé de gueuler / Slogans qui grondent / On est passé à la télé / Quinze secondes ».

Tiens, j’allais oublier de te mentionner l’artiste. Frédéric Bobin. Il était à Saint-Pierre, en cette mi-novembre 2009, en tant que guitariste d’Evelyne Gallet. Mais il a aussi sa propre démarche d’artiste. Et ça vaut la découvrance. À se dire qu’il faut qu’il revienne porter plus longuement ses chansons dans notre Outre-France.

Rythme enlevé, ourlé de douceur pourtant, pour un 3è CD. J’avais loupé les deux premiers. C’est que je n’aurais pas dû manquer la « Complainte du glaçon » des «  Choses de l’esprit  », « Entre WC et vaisselle », parmi «  Les salades  », titres en gras des albums deux et un.

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«  Singapour  », titre du troisième opus, donc, alors que j’achève la lecture d’un bouquin de Jacques Ellul. « Étrange bipède… qui es-tu vraiment ? » Sans doute puis-je partager sans fioritures les interrogations qu’un adulte en émergence peut avoir quand « ce siècle avait deux ans », entre tout ce qui te prend à la gorge mais qui ne te fait pas oublier l’amour, heureusement. Ça te desserre la glotte. Et puis les musiques de Frédéric Bobin – les textes sont en fait de son frangin Philippe -, ça se retient bien, je te le mentionne au détour. « La neige étend / Son manteau blanc / Sur ma tête et mes tempes… » Sapristi ! Ça me parle ! Et puis sur les tonalités d’une ballade, ça te triture le derme. Forcément. « Le démon de midi trente »… belle chanson. La voix est chaude, bien présente dans sa soutenue guitare acoustique.

Tout au long du CD, j’aurai aimé les nuances de la mise en forme, agréables et perlées. Et ça aide pour ourler quelque regard décapant. « J’suis un roi qui déprime / Dans une tour de verre / Un grand château-building. » Tagada, tagada, soin-soin… Tout se soigne. C’est ce qui m’aura accroché, cette décontraction dans l’élan général qui n’affaiblit pas la plume du peintre à musique. Et tu en prends soudain plein la tronche avec « Joe de Géorgie ». « Un jour tu reviens / Le corps irradié / Une jambe en moins ». Aimes-tu te détendre un peu dans un déhanchement country ? « La découverte » est pour toi. Mais c’est pour mieux te piéger, mon enfant. Difficile de sortir indemne avec « Les Zoulous les Apaches », comme si l’écran des salles de cinéma n’existait soudain plus. « Quand ils verront de leur tiers-monde / L’ennui de nos jeunesses blondes / (…) / Ils auront fait de nous une grosse tache / Les Zoulous, les Apaches ». Que n’avons-nous pas cherché l’échappatoire dans l’écriture, mots griffonnés sur un cahier de poèmes qu’on ne publiera jamais ou mots que l’on osera porter, qui sait ?, la guitare en bandoulière, pour une « vie de rechange ». « Bien à l’étroit sous les mailles / De nos vies petites tailles / On mène vaille que vaille / Une secrète bataille ». Chacun cherche ses propres sentiers buissonniers. L’accomplissement n’est-il pas le rêve inaccessible ? Alors, aussi bien opter pour « Le convoi des limaces », histoire de mener son petit pas de bonheur. Autre réussite de l’album qui en est perlé, comme tu le vois. Respiration des « Maisons qui défilent » vues du train qui rythme dans un accompagnement de guitare suggestif le continuum du regard. Et pour clore le tour d’horizon, un retour sur un environnement familier désormais disparu, ancré dans le souvenir d’une ville ouvrière, pour un CD représentatif des bouleversements qui triturent l’imaginaire européen dans cette première décade d’un siècle porteur de nouveaux bouleversements.

Et tu te surprendras à chantonner rapidement quelques titres. De quoi souhaiter vivement découvrir l’artiste sur les planches des portées…

Henri Lafitte, Curiosités musicales
18 novembre 2009

CD Frédéric Bobin, Singapour

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