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Andrée Lebailly, Contes de la tourbière

Il est des contes comme des promenades au cœur des moraines, sur le tapis palpitant des arbres rabougris, quand soudain, dans le mystère des ombrages, tu découvres émerveillé un ruisseau ocellé clignant des yeux au soleil derrière les fougères.

Mais pourquoi, me demanderas-tu, arpentes-tu les collines rocailleuses alors que je te devine assis dans ton fauteuil ? Pas tout à fait, le père ; la chaise, préciserai-je, convient à mon séant.

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C’est que je me suis plongé dans l’univers des contes d’Andrée Lebailly, auteur, en plus d’un livre d’histoire de l’Archipel, de textes de fiction, qui vient de publier à Saint-Pierre et Miquelon ses « Contes de la tourbière. » De quoi débrider l’imaginaire, je te le dis, ô lecteur avide d’échappées dans l’inexploré de l’écriture. Bel ouvrage sur papier glacé au format qui t’invite à te laisser voguer dans un fauteuil, les pieds au chaud au bord de l’âtre quand vient l’hiver.

Dix contes qui sauront te désarçonner, j’en suis sûr. J’en arrive à guetter le Chat S, titre du deuxième récit. Tu sauras goûter « La petite robe au chocolat » qui te mènera aux quatre coins de nos îles. Comment imaginer que des postures figées puissent déchaîner un tel imaginaire ? Je me prends à méditer sur les bouleversements intervenus dans nos attitudes entre les années cinquante du siècle passé et aujourd’hui. Car l’art du conte n’est-il pas de laisser libre cours aux interprétations ? Le premier aura retenu mon attention.

Le troisième aussi, dans le condensé de vie de Flavie la graineuse. Andrée Lebailly sait avec quelques mots lier son imaginaire au décor de nos îles. Pas besoin de grandes descriptions ; il est bon de suggérer. Et comme j’aime laisser libre cours à mes rêveries, j’ai pensé à l’Oncle Archibald de Brassens. Flavie aura-t-elle rencontré Archibald ? L’auteur, j’imagine, n’y aura pas songé. Mais son personnage m’a entraîné vers une étrange rencontre sur le tapis des grisettes, des graines et des pommes de pré.

Nous sommes sortis des routes balisées des figures imposées. Ainsi le veut le conte pour qui aime à s’y couler. En ressortent de petits berlingots de rêverie et c’est vers eux que je t’invite à ton tour, en allant à la rencontre des Contes de la tourbière d’Andrée Lebailly.

À l’heure où l’on oublierait si aisément le charme de l’objet-livre, comment ne pas retenir le choix heureux de la typographie ? Jean-Jacques Oliviéro aura su apporter là l’heureuse touche. Ainsi es-tu prêt, dans l’agrément des yeux, pour le « jeu littéraire » des « plantes de la tourbière ». Si tu es alors dérouté, n’est-ce parce que tu es déformé par l’enfermement de la rationalité auquel nous sommes condamnés ? Le conte brise les murs et le rêve s’épand. Aussi ne seras-tu pas surpris que je puisse avoir eu une pensée pour Éluard. « La terre est bleue comme une orange ».

Souvent, dans le récit, l’on se dirige vers la chute, comme une clef que l’on trouverait enfin. Ici, je me suis dit que l’essence de ce Verbe féminin réside dans l’ondoiement des enchaînements, des évocations suggestives, des mots à la saveur perlée d’une force imaginative et pour le décor rousseauiste (eh oui, j’ai songé, le soleil dans la tête…au Douanier Rousseau, nos îles s’étant substituées au Jardin des Plantes) qui transcende les rivages. Le charme n’est-il pas de rencontrer Victor, pêcheur cultivateur d’oignons épris de solitude, amateur de poésie ? Beau personnage en vérité qui sait baptiser ses chiens à bon escient.

Ne manquait donc qu’une fée pour « semer des paillettes de bonheur » « au pays des petites fées des mousses ».

Je te laisse, ô lecteur, au mitan de l’ouvrage. Il t’appartient de partir à ton tour dans la tourbière de la rêverie. Où suis-je en vérité ? Sur « une plage tropicale ? Dans un désert ? Dans un monastère ? Dans une jungle ? Sur un glacier ? Sur un volcan ? Ou ailleurs peut-être ? Mais alors où ? »

Emporté dans le ruisseau surréaliste d’un livre de contes, je te dis.

Henri Lafitte, Lectures buissonnières
5 décembre 2009

Andrée Lebailly, Contes de la tourbière , Atelier JJO, 2009 ISBN 978-2-9063-7711-0